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SAINT THOMAS D’AQUIN

» De même, les formes naturelles ne subsistent pas par elles-mêmes à l état singulier ; elles sont individualisées dans des matières qui leur sont propres ; aussi ne disons-nous pas que le feu que voici soit sa propre forme.

» Les essences ou quiddités des genres et des espèces, en effet, sont individualisées par l’intermédiaire de la matière pourvue de dimensions déterminées (materia signata) qui est celle de tel ou tel individu ; il en est ainsi, bien que la quiddité du genre ou de l’espèce n’implique pas seulement la forme, mais encore une matière prise d’une manière générale ; voilà pourquoi nous ne disons pas que Socrate ou que l’homme soit l’humanité.

» Mais l’essence divine subsisté par elle-même à l’état singulier ; elle est individualisée en elle-même ; lessence divine doit donc être attribuée à Dieu, en sorte que l’on doit dire : Dieu est son essence. »

Examinons de près ce raisonnement ; cherchons quel axiome il suppose : nous trouvons celui-ci : Une chose qui subsiste en elle-même est ou n’est pas identique à son essence, selon que la forme de cette chose reçoit son individuation d’une matière ou bien qu’elle est exempte de matière, subsistant en elle-même, individualisée d’elle-même.

Et de ce principe, quel est le corollaire immédiat ? Le voici :

Pour une substance composée de matière et de forme, la chose réellement existante est distincte de sa forme, partant de son essence. Pour toute substance exempte de matière, qui est forme séparée, la chose subsistante est identique à son essence.

C’est la pure doctrine de Thémistius[1] ; c’est le contrepied de ce que Thomas d’Aquin, non seulement au De ente et essentia mais encore en cette même Somme contre les Gentils, a dit des créatures intellectuelles, exemptes de matière.

Mais sans insister davantage sur le principe de l’argumentation que nous venons d’emprunter à la Somme contre les Gentils, voyons comment cette même argumentation se précise et se développe en cet article de la Somme théologique[2] où l’on examine « Si Dieu est la même chose que son essence ou nature. »

« À cette question, écrit Saint Thomas, il faut répondre que Dieu est la même chose que son essence ou nature. Pour bien comprendre cette réponse, il faut savoir que, dans les choses composées de matière et de forme, il est nécessaire que la nature ou

  1. Voir : Troisième partie, Ch. I, § VI ; t. IV, pp. 395-396.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Summa theologica, Pars prima, Quæst. III, art. III : Utrum sit idem Deus quod sua essentia vel natura.