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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

différentes ajoutées à l’essence. Nos autem dicimus quod significant eandem essentiam sed modis diversis ; non dispositiones diversas essentiæ additas. »

Saint Thomas d’Aquin, pour affirmer l’identité de l’existence et de l’unité, s’autorise d’un texte d’Aristote : assurément, il n’ignore pas le parti qu’Averroès a tiré de ce même texte pour soutenir, contre Avicenne, l’identité de l’essence et de l’existence ; dans un de ses Quolibets[1], il fait un emprunt évident à cette argumentation du Commentateur. Comment le Doctor communis a-t-il pu demander au Philosophe la condamnation de ceux qui veulent séparer l’unité de l’existence, et ne tenir aucun compte de la condamnation portée par le Stagirite, en même temps, dans la même phrase, contre ceux qui séparent l’essence de l’existence ? Nous n’avons rien rencontré, dans les écrits de Thomas d’Aquin, qui permît de donner à cette question une réponse formelle.


VII
COMMENT LA DOCTRINE D’ARISTOTE ET LA DOCTRINE D’AVICENNE SE DISPUTENT L’ADHÉSION DE SAINT THOMAS D’AQUIN

« Ταὐτὸ γὰρ εἶς ἄνθρωπος καὶ ὢν ἄνθρωπος καὶ ἄνθρωπος. » Saint Thomas d’Aquin s’est autorisé la première partie de cette phrase lorsqu’il a voulu, fidèle disciple d’Aristote, affirmer l’identité de l’unité et de l’existence ; il a oublié la seconde partie de cette même phrase lorsqu’il a voulu, fidèle disciple d’Avicenne, proclamer la distinction de l’essence et de l’existence. Nous venons de saisir sur le vif un épisode de la lutte intime qui met aux prises l’une avec l’autre les tendances philosophiques diverses de Saint Thomas d’Aquin.

La raison de Thomas d’Aquin est également sollicitée par la métaphysique d’Aristote et par la métaphysique d’Avicenne ; à toutes deux, elle voudrait adhérer à la fois ; de l’une et de l’autre, elle s’autorise tour à tour ; dans une foule de chapitres de la Somme contre les Gentils ou de la Somme théologique, on voit les arguments tirés des principes d’Avicenne succéder aux arguments

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Quodlibeta, Quodlib. XIIm, art. V : Utrum esse angeli sit accidens ejus.