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SAINT THOMAS D’AQUIN

nomme, aujourd’hui, le troisième. Nous y lisons ce qui suit[1] :

« L’être et l’un sont un et ont une même nature, car chacun d’eux suit l’autre comme si celui-ci était son principe et sa cause… Un homme [un, adjectif numéral], un être humain et un homme [un, adjectif indéfini], c’est la même chose ; dans le langage, l’expression redoublée : il est un homme, ne signifie rien d’autre que : il est homme. Il est donc manifeste que, dans ces diverses locutions, ce qui précède [le mot homme] a la même signification, et que l’un n’est absolument rien autre que l’être. — Εἰ δὴ τὸ ὂν καὶ τὸ ἓν ταὐτὸν καὶ μία φύσις, τῷ ἀκολουθεῖν ἀκλἠλοις ἀρχη καὶ ἄιτιον… Ταὐτὸ γὰρ εἴς ἄνθρωπος καὶ ὢν ἀνθρωπος, καὶ ἀνθρωπος, καὶ οὐχ ἕτερον τι δηλοῖ κατὰ τὴν λέξιν ἐπαναδιπλούμενον τὸ εἶς ἐςτὶν ἄνθρωπος καὶ ἔστιν ἄνθρωπος. Ὥστε φανε ρὸν ὅτι ἡ πρόσθεσις ἐν τούτοις ταὐτὸ δηλοῖ, καὶ οὐθὲν ἕτερον τὸ ἕν παρὰ τὸ ὄν. »

Dans ce passage, le Stagirite formule bien la pensée que lui prête Thomas d’Aquin ; il affirme l’identité de l’existence (τὸ ὄν) et de l’unité (τὸ ἕν). N’affirme-t-il que cela ? Non seulement il attribue même sens à ces deux termes : homme qui existe (ὢν ἄνθρωπος) et : homme qui est un (εἶς ἄνθρωπος), mais encore il leur attribue même sens qu’à ce seul mot : homme (ἄνθρωπος) ; et il insiste sur l’équivalence de ces deux formules : être un homme et être homme. Or, dans la Métaphysique d’Avicenne et de Saint Thomas d’Aquin, n’y aurait-il pas lieu de distinguer le sens de ces deux termes : ὢν ἄνθρωπος et ἄνθρωπος ? Le premier n’y désignerait-il pas un homme doué d’existence actuelle et le second l’essence de l’homme ? Ne devons-nous pas dire, par conséquent, qu’Aristote proclame non seulement l’identité de l’existence et de l’unité, mais encore l’identité de l’unité, de l’existence et de l’essence ?

C’est bien ainsi, d’ailleurs, que le Commentateur a compris le Philosophe[2]. Du texte que nous venons de citer, tous les développements qu’il donne n’ont d’autre objet que de prouver cette proposition ; « Avicenne a gravement péché lorsqu’il a cru que l’être et l’un signifiaient des dispositions ajoutées à l’essence de la chose, — Avicenna peccavit multum in hoc quod existimavit quod unum et ens significant dispositiones additæ essentiæ rei. » — Nous, au contraire, poursuit Averroès, nous disons qu’ils signifient la même essence, mais de différentes manières, et non pas des dispositions

  1. Aristote, Métaphysique, livre III, ch. ii (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. ii, pp. 500-501 ; éd. Becker, vol. ii, p. 1003, col. b).
  2. Aristotelis Stagiritæ Metaphysicæ libre XII cum Averrois Cordubensis Commentariis ; lib. IV, comm. 3.