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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

tre et qui est la matière première, mais parce quelle en est la compagne inséparable, et que c’est elle qui confère à la matière première la détermination par laquelle elle existe ici et maintenant. »

Pour les substances séparées, au contraire, « la forme[1] n’est multipliée qu’en raison de la forme considérée en elle-même, et non point par quelque autre chose, car ces formes ne sont pas reçues dans autre chose. Or toute multiplication de la forme, considérée en elle-même, entraîne multiplication de l’espèce. En ces substances, donc, il y a autant d’espèces que d’individus. »

« Les êtres qui se réunissent en une même espèce[2] et sont numériquement différents ont une forme commune et sont matériellement distincts les uns des autres. Puis donc les anges ne sont pas composés de matière et de forme, il en résulte que l’existence de deux anges de même espèce est une impossibilité. »

« Tous les êtres[3] qui sont de même espèce et ont entre eux une simple différence numérique, ont une matière. La différence qui provient de la forme, entraîne une diversité spécifique, tandis que la différence qui provient de la matière détermine la diversité numérique. Or les substances séparées n’ont ni matière qui fasse partie d’elles-mêmes, ni matière à laquelle elles soient unies à titre de forme. Il est donc impossible qu’elles soient plusieurs en une même espèce. »

Inspirées par la Philosophie péripatéticienne la plus authentique, ces considérations sur le principe d’individuation semblaient conclure avec une force singulière à l’unité de toutes les âmes humaines qui ont délaissé leurs corps. À l’encontre d’une telle doctrine, c’est à peine si Saint Thomas indique une timide explication qu’il ne répète même plus ; dans l’écrit même où il se propose de combattre l’hérésie averroïsfe, il la remplace par une simple affirmation.

Cette affirmation, du moins, Thomas d’Aquin l’appuie de la grande autorité d’Aristote : « Il est dit, au quatrième livre de la Métaphysique, que toute chose est être de la même manière qu’elle estime. » Ouvrons donc ce livre de la Métaphysique qu’Averroès et Thomas d’Aquin comptaient comme le quatrième, et que l’on

  1. Sancti Thomæ Aquinatis De natura materiœ et dimensionibus interminatis opusculum, cap. III.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Summa theologica, Pars primaf quæst. I., art. IV : Utrum angeli differant specie.
  3. Sancti Thomæ Aquinatis Summa contra gentiles, lib. II, cap. XCIII : Quod substantiæ non sunt multæ unius speciei.