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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

c’est que, par l’action de Dieu, l’âme peut être de nouveau unie au corps. L’assurance qu’un jour nous ressusciterons en notre chair, qui justifie seule la persistance en puissance, au sein de la matière, des dimensions du corps vivant, est la seule raison d’être de l’existence individuelle que garde l’âme séparée du corps ; ce n’est pas un principe de Philosophie, évident à la raison humaine, qui est ici garant de la survie individuelle de l’âme ; c'est un dogme dont, hors la Révélation, il nous serait impossible d’acquérir la certitude.

Ce n’est pas la seule étrangeté qui puisse faire hésiter l’esprit au moment où la solution thomiste lui est proposée»

Après la mort, les dimensions déterminées qui individualisaient le corps et l’âme du vivant ne sont plus qu’en puissance dans la matière ; toute potentielle que soit cette existence, il y faut cependant reconnaître quelque chose de bien réel, puisque c’est ce qui, à l’âme séparée du corps, maintient une existence individuelle, ce qui continue à la distinguer des autres âmes également séparées. Et cependant, qu’est-ce que cette existence en puissance de dimensions déterminées au sein de la matière ? N’est-ce pas précisément cette propriété que, sous le nom de dimensions indéterminées, Averroès attribuait à la matière première ? Ne peut-on pas reprendre ici, point par point, contre Saint Thomas, l’argumentation que Saint Thomas a dirigée contre le Commentateur ? Cette argumentation ne redonnera-t-elle pas exactement la conclusion qu’elle avait une première fois donnée, ne prouvera-t-elle pas de nouveau qu’« une telle supposition n’a de réalité que dans notre intelligence, comme celles des mathématiciens ? »

Thomas d’Aquin a parfaitement reconnu, d’ailleurs, que l’existence potentielle dont jouissent en la matière, après la mort, les dimensions déterminées du corps qui fut vivant, est tout à fait de même nature que l’existence, en la matière première, des dimensions non terminées considérées par Averroès ; ces deux existences, il les désigne toutes deux de même façon ; il les appelle toutes deux existences par essence ; aux dimensions qui demeurent en puissance après la mort comme aux dimensions dont Averroès a parlé, il donne le même nom de Dimensiones intermitatæ ; il ne sépare pas l’étude des unes de l’étude des autres.

Ne peut-on dire alors, de l’aveu même de Saint Thomas d’Aquin, que ce qui doit assurer à l’âme, depuis l’heure de la mort jusqu’a l’heure de la résurrection de la chair, une survie individuelle, c’est une supposition dénuée de réalité hors de notre intelligence, comme le sont celles des mathématiciens ? « Dimensiones intermi-