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SAINT THOMAS D’AQUIN

suscitera, et non point un autre homme, car tous les principes qui constituent cet homme se réuniront les uns aux autres, numériquement identiques à ceux qui ont été disjoints. L’âme humaine, en effet, garde, après la mort, son idendité numérique absolue ; elle conserve la plénitude des vertus par lesquelles elle peut conférer à la matière exactement les mêmes perfections qu’elle lui conférait auparavant, et au même degré. La matière, elle aussi, demeure numériquement la même, car elle est incorruptible. Enfin les mêmes dimensions demeurent en la matière, bien qu’elles y demeurent seulement en puissance. (Easdem etiam dimensiones necesse est manere in materia, licet non nisi in potentie). Aucun agent physique ne pourrait les reproduire, [d’une manière actuelle], numériquement identiques à ce qu’elles étaient. Mais elles demeurent dans la matière, numériquement identiques à elles-mêmes, en puissance à l’égard de l’action divine. S’il n’en était pas ainsi, l’individu ne demeurerait pas numériquement identique à lui-même, car les dimensions contribuent à l’individuation. De la même matière, donc, et des mêmes dimensions unies à la même âme, un homme ressuscitera, qui sera numériquement le même homme et non pas un autre homme. »

L’individu ressuscité en âme et en chair sera le même que l’individu vivant parce que « ce sera la même âme et le même corps qui ressusciteront[1]. On doit dire, en effet, que le corps qui ressuscitera sera numériquement le même que le corps de l’homme durant sa vie… Les accidents qui confèrent l’individuation, c’est-à-dire les dimensions, se retrouveront, elles aussi, numériquement les mêmes, dans le corps glorifié. »

Ainsi, lorsque l’âme est unie au corps, elle trouve le principe de son individuation dans la matière délimitée, douée de dimensions déterminées, dont elle est la forme, l’acte, la perfection. Lorsqu’elle est séparée du corps, elle demeure individualisée, parce que tout ce qui constituait son individuation continue d’exister en puissance ; les mêmes dimensions déterminées demeurent en puissance au sein de la matière, et l’âme garde le pouvoir d’informer de la même façon la même matière. D’ailleurs, si ces dimensions déterminées demeurent, numériquement les mêmes, en puissance dans la matière, si l’âme garde le pouvoir d’informer la même matière, si toutes ces choses, au lieu d’être purement et simplement détruites, gardent l’existence potentielle,

  1. Sancti Thomæ Quodlibetales quœstiones. Quodlib. XI, art. V ; Utrum sint ejusdem substantiæ animæ sensitiva et intellectiva, — De corpore.