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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

pour ces créatures, un véritable mode d’existence, éternel et incréé[1], que les successeurs de Saint Thomas nommeront l’esse cognitum a Deo. « Elles sont en Dieu par ressemblance, car l’essence de Dieu est une ressemblance de toutes les créatures, » puisque toutes les créatures sont faites à l’image de Dieu.

Ainsi, « l’être (esse) de la créature peut être considéré de quatre manières : Premièrement, tel qu’il est en la nature propre de la créature. Secondement, tel qu’il est en notre connaissance. Troisièmement, tel qu’il est en Dieu. Quatrièmement, d’une manière générale, en faisant abstraction de toutes ces circonstances.

» Si l’on dit donc que la créature a, en Dieu, un être plus véritable qu’en elle-même, on compare le troisième être au premier sous le rapport du quatrième, car toute comparaison se fait sous le rapport de ce qui est commun… La créature a, en Dieu, un être incréé, tandis qu’elle a, en elle-même, un être créé ; or, dans cet être créé, il y a moins de véritable existence qu’en l’être incréé.

» Si l’on compare, au contraire, le premier être au second, sous le rapport du quatrième, on trouve que, d’une part, chacun deux surpasse l’autre et, d’autre part, qu’il en est surpassé. En effet, par là qu’il est substantiel, l’être qui réside en la nature propre d’une chose surpasse l’être qui réside en l’âme, car celui-ci est seulement accidentel ; mais, d’autre part, le premier est au-dessous du dernier, car il est un être matériel et l’autre un être intellectuel. On voit clairement ainsi que là où une chose n’existe que par sa ressemblance elle a, parfois, un être pins véritable qu’en elle-même…

» La ressemblance d’une chose en l’âme peut être considérée de deux manières. On peut la considérer simplement en tant qu’elle est la ressemblance de la chose ; on ne lui attribue alors rien de plus que ce qu’on trouve en la chose elle-même. On peut aussi la considérer sous le rapport de l’être quelle a dans l’âme ; alors, on lui attribue l’intelligibilité ou universalité. »

La lecture de ce texte ne nous peut Laisser de doute ; l’être qu’une chose a dans l’âme, l’esse in anima dont il est ici question, c’est bien la mode d’existence que l’essence, dépouillée de l’existence concrète et individuelle, a dans notre esprit ; d’autre part, l’être incréé qu’une chose possède en Dieu, parce que l’essence de Dieu lui ressemble, c’est bien l’existence de l’idée dans l’intelli-

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Scriptam super primum librum sententiarum, Dist. XXXVI, quæst. I, art. III : Utrum res quæ cognoscuntur a Deo sint in Deo.