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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

« Par l’acte même qui attribue l’existence à la quiddité, ce n’est pas seulement l’existence qui est dite créée, c’est aussi la quiddité même, car avant de posséder l’existence, celle-ci n’est rien, à moins qu’on ne veuille considérer ce qu’elle est dans l’intelligence du Créateur ; mais là, elle n’est pas créature ; elle est l’Essence créatrice. — Quod ex hoc ipso quod quidditati esse attribuitur, non solum esse, sed ipsa quidditas creari dicitur ; quia, antequam esse habeat, nihil est, nisi forte in intellectu Creantis, ubi non est creatura, sed creatrix Essentia. »

De l’enseignement que ce texte résume, exposons le développement.

Dieu[1] a fait toute créature à l’image d’un modèle connu de lui ; à ce modèle, le Doctor communis donne le nom platonicien d’idée (idea).

Les modèles ou idées des créatures ne sont pas des choses qui existent hors de Dieu ; hors de Dieu, il ne peut rien exister que les créatures elles-mêmes. Les idées ne sont pas des choses diverses existant en Dieu, ce qui contredirait à l’absolue unité de Dieu. Toutes les choses créées sont faites à l’image de Dieu ; « par son essence, donc, Dieu a ressemblance avec chacune des choses créées ; partant, en Dieu, l’idée n’est pus autre chose que l’essence même de Dieu. »

« Le Verbe de Dieu[2] est la raison (λόγος) de toutes les choses qui sont faites par Dieu. Il faut donc que toutes les choses faites par Dieu aient préexisté dans le Verbe de Dieu avant qu’elles n’existassent en leur propre nature. Mais toute chose qui existe dans un être est, en cet être, de la façon même selon laquelle cet être existe, et non suivant sa propre manière d’être. » — C’est le Livre des causes qui fournit ce principe à Thomas d’Aquin. — « Il faut donc concevoir que, dans le Verbe de Dieu, les choses préexistent de la façon qui est propre au Verbe de Dieu. Or la manière d’être propre au Verbe consiste à être un, simple, immatériel ; elle ne consiste pas seulement à être vivant, mais à être la vie même, car la vie est l’existence du Verbe. Il faut donc que les choses faites par Dieu aient, de toute éternité, préexisté dans le Verbe de Dieu, immatérielles et sans aucune composition ; elles ne doivent pas être en lui autre chose que le Verbe lui-même, qui est la vie. »

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Scriptum in primum librum Sententiarum, Dist. XXXVI, Quæst. ii, Art. I : Quid nomine ideæ importetur. — Cf. Summa theologica, Pars I, Quæst. XV, Art. I : Utrum ideæ sint. — Quœstiones disputœ de veritate. Quæst. ii : De ideis. Art. I : Utrum sint ideæ.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Summe contra gentiles, pars IV, cap. XIII.