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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Dans une de ses Questions discutées sur la puissance de Dieu, Thomas d’Aquin expose en detail sa théorie de la création. La création, dit-il[1], peut être considérée de deux manières, comme création active et comme création passive. « Lorsqu’on la considère comme active, elle désigne l’action de Dieu, qui est l’essence même de Dieu accompagnée d’une certaine relation avec la créature ; cette relation, d’ailleurs, n’est pas une relation réelle ; c’est seulement une relation conçue par l’intelligence. Lorsqu’au contraire, on considère la création d’une manière passive, comme, à proprement parler, elle n’est pas un changement, on ne peut pas dire qu’elle soit destinée à prendre place dans la catégorie de passion, mais bien qu’elle doit être mise dans la categorie de relation…

» La création n’implique aucunement une certaine accession à l’existence (accessus ad esse) non plus qu’une certaine transmutation produite par le Créateur ; elle est seulement un commencement d’existence (inceptio essendi) et une relation à l’égard du Créateur de qui la créature tient l’existence. En réalité, donc, la création n’est pas autre chose qu’une relation avec Dieu, accompagnée d’une innovation d’existence.

» Dans la création, ce qui joue le rôle de réceptacle de l’action divine, ce n’est pas ce qui est non existant, mais bien ce qui est créé…

» Quant à la relation dont nous venons de parler, ce n’est pas quelque chose de créé, mais quelque chose de concréé, [de créé en même temps que la créature elle-même] ; de même qu’à proprement parler, ce n’est pas un être, mais une chose inhérente à un être. Il en est semblablement, d’ailleurs, de tous les accidents…


» Cette relation est un accident ; considérée dans son être et en tant qu’elle est inhérente au sujet, elle est postérieure à la chose créée, de même qu’en notre intelligence et par nature (intellectu et natura), tout accident est postérieur au sujet qu’il affecte ; elle n’est pas, toutefois, un de ces accidents qui ont leur cause dans les principes constitutifs du sujet. Mais si on la considère dans sa nature (ratio), en tant qu’elle émane de l’action du Créateur, la susdite relation est, d’une certaine manière, antérieure au sujet, tout comme l’action divine qui en est la cause prochaine…

» Il ne faut pas concevoir cette relation comme établie entre

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Quœstiones disputatœ de potentie Dei Quæst. III, De creatione. Art. III : Utrum creatio sit aliquid realiter in creatura, et si est, quid sit.