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SAINT THOMAS D’AQUIN

médiaire de la forme ; en effet, lorsque la forme advient à la matière, elle la fait exister en acte ; ainsi en est-il lorsque l’âme survient au corps.

» Dès lors, en toute chose composée [de matière et de forme] il y a lieu de considérer deux actes et deux puissances. En premier lieu, la matière joue le rôle de puissance à l’égard de la forme, et la forme est l’acte de cette matière. En second lieu, la nature composée de matière et de forme est comme une puissance à l’égard de l existence, en tant qu’elle est apte à recevoir cette existence.

» Supprimons maintenant le fondement qu’est la matière ; s’il demeure cependant une forme déterminée qui ne subsiste pas dans une matière, mais qui subsiste par elle-même, elle sera encore à son existence dans le même rapport que la puissance à l’acte… De cette façon, la nature d’une substance spirituelle, nature qui n’est pas composée de matière et de forme, est comme une puissance à l’égard de son existence.

» Ainsi, dans une substance spirituelle, il y a composition d’acte et de puissance et, par conséquent, de forme et de matière (et per consequens, formæ et materiæ), si toutefois toute puissance reçoit le nom de matière et tout acte le nom de forme. Toutefois, cela n’est point dit proprement, suivant le commun usage des noms (Sed tamen hoc non est proprie dictum secundum communem usum nominum.) »

De cette idée que l’existence joue, à l’égard de l’essence, le rôle d’un acte à l’égard d’une puissance et, jusqu’à un certain point, le rôle d’une forme à l’égard d’une matière, Thomas d’Aquin est si intimement pénétré que cette conviction le conduit à interpréter à faux le Liber de causis. Au gré de l’auteur de ce livre, toute intelligence, toute âme, au dessous de la Cause première, est affectée d’une dualité ; en elle, il y a l’essence ou existence (essentia, esse), qui provient de la Cause créatrice, et la forme (forma) imprimée par les causes secondes ; pour marquer qu’à l’égard de cette forme, l’existence joue un rôle qui ressemble à celui de la matière, le commentateur de Proclus lui forge ce nom d’allure grecque : hyliathis ; que la hyliathis soit bien identique à ce que crée la Cause suprême, à cette essentia ou à cet esse, au sein duquel l’auteur néoplatonicien ne cherche pas à distinguer l’essence de l’existence, nous en avons l’assurance aussi bien par le texte où la hyliathis est mentionnée que par toute la doctrine du Livre des causes[1].

  1. Voir : Troisième partie, Ch. I, § II ; t. IV, pp. 340-345.