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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

lesquels se trouve constituée une certaine nature[1]. Mais la nature ainsi composée n’est pas sa propre existence, car l’existence est l’acte de cette nature. La nature est donc en comparaison de son existence comme la puissance à l’égard de l’acte (Unde ipsa natura comparatur ad suum esse sicut potentia ad actum). Supprimons maintenant la matière ; supposons que la forme subsiste en elle-même et non pas dans une matière ; cette forme continuera de se comporter à l’égard de son existence comme la puissance à l’égard de l’acte. Dans un ange, c’est cette composition-là qu’il faut concevoir. C’est là ce que certaines personnes expriment en disant qu’un ange est composé de quo est et de quod est, ou d’esse et de quod est, comme dit Boëce[2] ; quod est, en effet, c’est la forme subsistante elle-même ; l’esse, au contraire, c’est ce par quoi (quo) la substance existe (est), comme la course est ce par quoi (quo) le coureur court. »

Si le Docteur Angélique, dans tous les passages que nous venons de citer, répète que l’existence est à l’essence comme l’acte à la puissance, il refuse constamment d’assimiler la composition d’essence et d’existence à la composition de matière et de forme. Une seule fois, dans sa Question discutée sur les créatures spirituelles, il s’est relâché quelque peu de cette rigueur ; sans admettre, entre ces deux compositions, une identité proprement dite, il a concédé, cependant, une certaine similitude. Citons ce dernier texte[3], particulièrement clair, qui résume, pour ainsi dire, tout l’enseignement thomiste sur la distinction entre l’essence et l’existence :

« Tout ce qui est après le premier Être possède une existence (esse) qui est reçue en quelque chose qui concrète (contrahit) cette existence ; partant, en toute chose créée, autre est la nature même de cette chose, nature qui participe de l’existence, autre est l’existence reçue par participation. C’est par assimilation que toute chose, en tant qu’elle possède l’existence, participe de l’Acte premier ; il est donc nécessaire qu’en toute chose, le rapport de l’existence reçue par participation à la nature qui participe soit comme un rapport d’acte à puissance.

» Dans la nature d’une chose corporelle, la matière ne participe pas par elle-même à l’existence ; elle y participe par l’inter-

  1. Nous rappelons que, pour Saint Thomas d’Aquin, natura, essentia, quidditas sont synonymes.
  2. Nous avons vu, dans un chapitre précédent, que Thomas d’Aquin défigure ici la pensée de Boëce. — Vide supra, pp. 313-314.
  3. Sancti Thomæ Aquinatis Quæstio disputata de spiritualibus creaturis ; art. I : Utrum substantia spiritualis sit composita ex materia et forma.