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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

posé, l’un de ces deux éléments doit jouer le rôle de puissance et l’autre de rôle d’acte. Point d’hésitation sur la répartition de ces rôles ; c’est l’essence ou substance qui est la puissance, et l’existence qui est l’acte ; on s’en peut convaincre par de multiples arguments[1].

« Toutes les fois qu’en un même être on trouve deux choses dont l’une est le complément de l’autre, le rapport de celle-là à celle-ci est un rapport d’acte à puissance. Or, en toute substance intellectuelle créée, nous trouvons deux choses, la substance même et son existence ; cette existence n’est pas la substance même, comme nous l’avons montré. Mais l’existence est ce qui donne son achèvement à la substance existante, car toute chose est en acte par cela même qu’elle possède l’existence. Il en résulte donc qu’en chacune des susdites substances, il y a composition d’acte et de puissance.

» En second lieu, ce qui, dans une chose, provient d’un agent, c’est nécessairement un acte de cette chose, car c’est le propre d’un agent de faire que quelque chose soit en acte. Or, on a montré précédemment que toutes les substances tiennent leur existence du premier Agent ; c’est précisément parce qu’elles tiennent d’autrui leur existence que ces substances sont créées. Au sein des substances créées, donc, l’existence réside comme un certain acte. D’autre part, ce en quoi réside un acte, c’est une jouissance, car l’acte, en tant qu’acte, est toujours relatif à une puissance. En toute substance créée, dont, il y a puissance et acte.

» En troisième lieu, celui qui participe de quelque chose est à la chose dont il reçoit sa part comme une puissance à l’égard d’un acte ; parce qu’il participe, en effet, il devient actuellement participant. Or, on a démontré plus haut que Dieu seul est être par essence (essentialiter ens) ; toutes les autres choses reçoivent l’existence par participation. Toute substance créée est donc, à l’égard de son existence, comme la puissance à l’égard de l’acte.

» En quatrième lieu, enfin, c’est par l’acte qu’une chose ressemble à la cause agissante. Or, comme on l’a montré plus haut, c’est par l’existence que toute chose créée ressemble à Dieu. L’existence joue le rôle d’acte à l’égard de toutes les substances créées. Il en résulte qu’en toute substance créée, il y a combinaison d’acte et de puissance. »

N’allons pas en conclure que toute chose créée soit composée de forme et de matière, « La combinaison de matière et de forme[2]

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., lib. II, cap. LIII : Quod in substantiis intellectualibus creatis sunt et actus et potentia.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., lib. II, cap. LIV ; Quod non est idem compositio ex materia et forma et ex substantia et esse.