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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

de la plus universelle comme de la plus spéciale, et aussi de toute οὐσία intermédiaire. »

N’est-il pas clair, maintenant, que l’analyse de Scot pourrait fort exactement se conclure par cette formule : L’Οὐσία universelle est la substance qui supporte les neuf Prédicaments généraux ? N’est-il pas évident que si son Disciple lui posait la question que pose le Disciple d’Ibn Gabirol[1] : « Dis-moi quelle est la qualité de cette substance ? » Il répondrait, comme le Philosophe juif :« Ne sais-tu pas que la qualité de cette substance, ce sont les neuf prédicaments, car ce sont eux qui la dépeignent (quia sont depictiones ejus) ? »

Selon Ibn Gabirol, la Forme universelle, qui est l’ensemble des neuf prédicaments pris dans leur absolue généralité, est le principe d’unité et d’union, puisqu’en elle, les formes particulières différentes trouvent leur commune raison d’être ; « Les formes inférieures[2] sont comprises au sein des formes supérieures, jusqu’à ce que toutes les formes se trouvent réduites à la Forme universelle, qui unit en elle-même toutes les formes et dans laquelle toutes les formes se trouvent embrassées. »

Si l’on voulait, de cette proposition générale, donner un exemple, pourrait-on mieux faire que d’emprunter celui-ci à l’Érigène[3] ?

« Toute substance déroule de l’Essence générale, tandis que toute qualité dérive de la Qualité générale… Le feu, qui est une substance, ne peut descendre d’une autre cause que de l’Essence généralissime : de même, la chaleur, qui est une qualité, ne peut procéder d’une autre cause que de la Qualité généralissime ».

Les corps sujets à la destruction qui nous entourent sont composés de corps spirituels qui sont simples, permanents et incorruptibles. « Ces corps incorruptibles et insolubles sont conçus par la raison en quatre éléments universels principaux, absolument purs et simples… Mais, à leur tour, ces quatre éléments du Monde, qui sont parfaitement simples, parfaitement purs, et qui échappent aux sens corporels, se ramènent à une cause simple et indivisible que l’intelligence des sages les plus parfaits connaît seule. Cette cause, c’est l’Essence, absolument universelle et toujours permanente en elle-même, de toutes les substances productrices d’effets visibles.

» Il est juste de concevoir semblable pensée au sujet des quatre

  1. Avencerolis Fons vitæ, Tract. II, cap. 13, p. 45.
  2. Avencerolis Fons vitæ, Tract. III, cap. 26, pp. 142-143.
  3. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. II, cap. 31, éd. cit., coll. 605-607.