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SAINT THOMAS D’AQUIN

même voit-on qu’en Socrate, en sus de son existence substantielle, se rencontre la blancheur, qui n’est pas la même chose que son existence ; ce n’est pas même chose, en effet, sinon par accident, d’être Socrate et d’être blanc.

» Si l’existence (esse) ne se rencontrait pas en une substance, il n’y aurait plus aucun moyen d’unir à cette substance ce qui est en sus de l’existence.

» L’existence, en tant qu’existence, ne saurait être diverse [d’une chose à une autre] ; mais elle peut être diversifiée par quelque chose qui soit en sus de l’existence ; c’est ainsi que l’existence d’une pierre est différente de l’existence d’un homme.

» L’existence qui est l’existence subsistant par elle-même (esse subsistent) est donc nécessairement unique. D’autre part, il a été démontré que Dieu est sa propre existence subsistant par elle-même. Partant, hors Dieu, aucune chose ne peut-être sa propre existence. Par conséquent, en toute substance, excepté Dieu, autre doit être la substance, et autre son existence. »

Après cet argument qui s’inspire du Livre des causes, en voici d’autres qu’Avicenne, qu’Al Gazâli eussent avoués[1] :

« L’existence (esse) reçue d’une cause étrangère ne convient pas à l’être (ens) en tant qu’être ; sans cela, tout être aurait un autre être pour cause… Dette existence, donc, qui est l’être subsistant par soi ne saurait avoir de cause. Partant, aucune chose causée ne peut être sa propre existence…

» L’existence même appartient au premier Agent par la propre nature de cet Agent, car son existence, comme nous l’avons montré, c’est sa substance. Mais ce qui appartient à une chose en vertu de la nature propre de cette chose ne saurait appartenir aux autres choses, sinon par participation ; c’est ainsi qu’aux corps autres que le feu, la chaleur appartient seulement par participation. À toutes les choses donc qui ne sont pas le premier Agent, l’existence n’appartient qu’en vertu d’une certaine participation ; mais ce qui appartient à une chose en vertu d’une participation n’est point la substance de cette chose ; il est dès lors impossible que la substance d’un être (gens) quelconque, hors le premier Agent, soit l’existence même de cet être. »

Toute chose créée est donc, en vertu de cette théorie empruntée à Ibn Sinâ, un composé de deux éléments : Son essence ou substance qu’elle possède par elle-même, et son existence qu’elle tient d’une participation. Dès lors, en vertu du principe précédemment

  1. Saint Thomas d’Aquin, loc. cit., art. 4 et art. 7.