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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

La question débattue était celle-ci : L’ange est-il substantiellement composé d’essence et d’existence ?

» Il semble, écrit tout d’abord le Docteur Angélique, que l’ange ne soit pas substantiellement composé d’essence et d’existence. L’essence de l’ange, en effet, c’est l’ange, car la quiddité d’un être simple, c’est cet être simple lui-même. Si donc l’ange était composé d’essence et d’existence, il serait composé de lui-même et de quelque chose d’autre que lui-même, ce qui est absurde. L’ange n’est donc pas substantiellement composé d’essence et d’existence.

» En outre, aucun accident ne se rencontre en la composition substantielle de la substance. Mais l’existence de l’ange est un accident, car Saint Hilaire, dans son livre De la Trinité[1], attribue à Dieu seul, comme un caractère qui lui est propre, que l’existence ne soit pas, pour lui, un accident, mais une vérité subsistante. »

Saint Thomas répond que « la composition d’essence et d’existence qui se trouve dans un ange n’est pas une composition comme celle qui résulterait de parties différentes de la substance, mais une composition semblable à celle qui résulterait de la substance et d’une chose adhérente à la substance.

» À la première objection, il faut répondre que, de deux choses que l’on joint ensemble, il résulte parfois une troisième chose ; ainsi par l’union de l’âme et du corps se constitue l’humanité, en sorte que l’homme est composé d’une âme et d’un corps. Parfois aussi, de deux choses qu’on joint ensemble, il ne résulte pas une troisième chose, mais seulement une certaine nature composée (ratio composita) ; ainsi la nature de l’homme blanc se résout en la nature de l’homme et la nature de la blancheur ; dans ces cas-là, une chose est composée d’elle-même et de quelque chose d’autre, de même qu’une chose blanche se compose de la chose même qui est blanche et de la blancheur.

» À la seconde objection il faut répondre que l’être (esse) est un accident, non pas qu’il se comporte comme quelque chomse qui arrive d’une manière accidentelle, mais parce qu’il se comporte comme l’actualité d’une substance quelconque (esse est accident, non quasi per accidens se habens, sed quasi actualitas cujuslibet


    Quolibets sont d’un très grand intérêt pour l’histoire de la Philosophie et de la Théologie.

  1. Le texte de Saint Hilaire auquel Saint Thomas fait allusion est ainsi conçu ? « Esse enim non est accidens nomen, sed subsistens veritas et manens causa et naturalis generis proprietas » [S. Hilarii Pictavensis Episcopi De Trinitate lib. VII, cap. XI. — S. Hilarii Opera. Accurantc J. P. Migne, t. II (Patrologiœ Latinæ t. X), col. 208]