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SAINT THOMAS D’AQUIN

même temps l’existence, n’existe par sa propre essence ; elle existe par participation de quelque chose, et ce quelque chose, c’est l’existence même ; mais l’être qui existe par participation de quelque chose ne peut pas être le premier Être (ens) ; la chose, en effet, à laquelle cet être doit participer afin d’exister, est nécessairement avant cet être ; or Dieu est le premier Être ; avant lui, il n’y a rien ; l’essence de Dieu, donc, est, en même temps, son existence. »

Entre ces deux chapitres de la Somme contre les Gentils, où l’inspiration d’Ibn Sinâ se reconnaît si aisément, nous en trouvons un dont l’objet est de prouver que Dieu est sa propre essence ; nous y lisons ce qui suit[1] :

« Cela seul est en sus (præter) de l’essence ou quiddité d’une chose qui n’entre pas dans la définition de cette chose ; la définition, en effet, désigne ce qu’est (quid est) la chose ; mais seuls, les accidents ne se trouvent point compris dans la définition : dans une chose quelconque, donc, les accidents seuls sont en sus de l’essence (soli igitur accidentia sunt, in re aligna, præter essentiam ejus) : or en Dieu, on l’a montré, il n’y a pas d’accident ; partant, il n’y a rien en lui, hors son essence ; donc Dieu est lui-même sa propre essence. »

La pensée exprimée en ce chapitre ne contredit nullement à celle d’Avicenne ; ce n’est point Avicenne, cependant, c’est Maïmonide qui a fourni le modèle de ce raisonnement.

Or, de la majeure de ce raisonnement, on peut tirer une autre conséquence qui est celle-ci : Puisqu’en toute chose, il n’y a qu’essence et accident, l’existence d’une créature, distincte de l’essence de cette créature, ne peut être qu’un accident, comme l’ont soutenu Avicenne et Moïse Maïmonide.

En un de ses Quolibets[2], Saint Thomas d’Aquin semble admettre très fermement cette opinion.

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., lib. I, cap. XXI : Quod Deus est sua essentia ; art. 2.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Quolibeta ; quodlib. IIm art. III : Utrum angelus substantialiter sit compositus ex essentia et esse.

    Le nom de Quolibets reviendra fréquemment dans ces pages ; indiquons-en l’origine.

    Deux fois par an, à l’Avent et au Carême, les bacheliers qui voulaient obtenir le grade de licencié en Théologie se livraient à des discussions particulièrement solennelles. La veille de la discussion, l’assistance choisissait un certain nombre de sujets pris dans les domaines les plus variés (de quolibet) et les affichait sur la porte de la salle. Le lendemain, les bacheliers discutaient ces questions ; le docteur en Théologie qui présidait les débats reprenait ensuite la discussion et formulait la solution qu’il convenait d’adopter. Ce sont ces résumés qui, pour nombre de Scolastiques illustres, nous ont été conservés sous le nom de Dispulationes de quolibet ou de Quodlibeta. Portant, en général, sur les sujets qui étaient alors a l’ordre du jour, la plupart des