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SAINT THOMAS D’AQUIN

partie de l’universalité des accidents qui accompagnent la chose. »

Comment l’existence et, partant, l’unité, sont des accidents, nous le comprendrons mieux lorsque nous aurons dit de quelle manière Avicenne conçoit la relation de l’essence ou quiddité (quidditas) avec l’universel ou le singulier.

Ibn Sinâ se défend vivement, en effet, de confondre l’universel avec la quiddité. L’homme universel ou le cheval universel, ce n’est pas la quiddité de l’homme, l’humanité, ou la quiddité du cheval, l’équinité (equinitas). La quiddité de l’homme, l’humanité, n’est, par elle-même, ni universelle ni singulière ; l’universalité ou la singularité sont des accidents qui lui surviennent ; il est nécessaire qu’elle reçoive l’un ou l’autre de ces deux accidents, mais elle n’est pas, par elle-même, destinée à recevoir celui-ci plutôt que celui-là ; selon que l’accident reçu par l’humanité est l’universalité ou l’unité, il en résulte l’homme universel ou l’homme particulier.

Ce qui est vrai de l’universalité ou de l’unité peut se répéter au sujet de l’existence ; la quiddité peut être unie à l’existence conceptuelle qui réside en l’âme ou à l’existence réelle parmi les choses extérieures à l’âme ; son existence peut être une existence en acte ou une existence en puissance ; toujours elle est unie à l’un de ces modes d’existence, mais, par sa nature, elle n’est pas liée de préférence à l’un d’entre eux ; selon que l’existence qui survient, à titre d’accident, à l’humanité est l’existence mentale, l’existence réelle et potentielle ou l’existence réelle et actuelle, l’homme existe dans l’esprit ou bien dans la nature, il existe en puissance ou en acte.

Cette théorie d’Avicenne aura un tel retentissement qu’il est bon de rappeler[1] en quels termes le maître la formulait :

« L’universel, disait-il,[2] en tant qu’il est universel, est une chose, et, en tant qu’il est ce à quoi survient (accidit) l’universalité, il est une autre chose. Par l’universel, donc, en tant qu’il est un universel constitué, se trouve désigné un des termes dont il a été précédemment parlé ; lorsqu’en effet, l’universel est l’homme ou le cheval, le concept (intentio) auquel survient l’universalité, concept qui est l’humanité ou l’équinité, est un concept autre que celui de l’universalité, et en dehors de celui-ci. La définition de l’équinité est en dehors de la définition de l’universalité et l’uni-

  1. Voir : Troisième partie, ch. II, § VIII ; t. IV, pp. 481-482.
  2. Avicenne Op. laud., lib. II, tract. V, cap. I : De rebus omnibus et quomodo est esse eorum.