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SAINT THOMAS D’AQUIN

unique, bien que cette essence, qui est celle de l’âme, ne dépende pas du corps.

» Après cette forme qu’est l’âme, se trouvent d’autres formes qui ont encore plus de puissance et qui sont encore plus voisines de la Matière, à ce point que leur essence (esse) n’est plus exempte de matière. En ces formes, se rencontre un ordre et une hiérarchie qui descendent jusqu’aux formes primaires des éléments ; celles-ci sont, de toutes, les plus voisines de la Matière. »

Au plus haut degré des substances séparées, au contraire, se trouve Dieu[1]. En lui, il n’y a plus de distinction entre l’essence et l’existence ; son essence, c’est son existence même.

Lors même que le Liber de causis et la Métaphysique d’Avicenne ne seraient pas maintes fois cités au cours des chapitres que nous venons d’analyser, l’influence du Néo-platonisme gréco-arabe n’y serait pas moins manifeste. Bien que l’autorité d Averroès s’y trouve souvent invoquée, nous ne reconnaissons point du tout, en ces pages, le Péripatétisme rigide du Commentateur ; ce que Thomas d’Aquin lui a emprunté, ce sont les pensées qu’en son commentaire au Περὶ ψυχῆς, il avait lui-même tirées du Livre de causes. Ce sont encore les idées néo-platoniciennes qui exercent, sur l’esprit de Saint Thomas, le plus d’empire. Déjà, cependant, il se montre plus fidèle qu Albert le Grand à garder les enseignements d’Aristote ; il ne consent pas, comme son maître, à chercher en l’intellectus possibilis le principe d’individuation capable de distinguer les unes des autres les diverses âmes humaines ; il s’en tient rigoureusement à cette affirmation : La matière, et la matière seule, permet la subdivision d’une même espèce en individus multiples : « Pour les substances séparées, ou ne saurait trouver des individus multiples au sein d’une même espèce. Il n’y a d’exception que pour l’âme humaine, à cause du corps auquel elle est unie. D’ailleurs, bien que son individuation, par son commencement, dépende du corps d’une manière accidentelle, car elle ne peut acquérir l’existence individuelle que dans le corps dont elle est l’acte, il n’en résulte pas nécessairement que cette individuation périsse lorsque le corps est détruit. L’âme, en effet, a une existence indépendante du corps (esse absolutum) ; du moment donc qu’elle a reçu une existence individuelle par le fait qu’elle est devenue la forme de tel corps, son existence demeurera toujours individualisée. »

Comment cela se fera-t-il ? Au De ente et essentia Thomas d’Aquin ne nous le dit pas ; il tentera plus tard de nous le dire en appro-

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., cap. IV.