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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

existence, elle la tient du premier Être, qui est existence pure ; cet Être, c’est la Cause première qui est Dieu.

» Mais tout être qui reçoit quelque chose d’un autre est en puissance par rapport à cet autre, tandis que ce qu’il reçoit, est, en lui, à titre d’acte. Nécessairement, donc, l’essence ou forme qui est en l’Intelligence est en puissance à l’égard de cette existence que l’Intelligence tient de Dieu, tandis que cette existence est reçue à la façon d’un acte. Nous trouvons ainsi, dans les Intelligences, acte et puissance, mais non point matière et forme, si ce n’est par homonymie…

» Ainsi la quiddité ou essence d’une Intelligence, c’est précisément ce qu’elle est par elle-même ; et l’existence qu’elle reçoit de Dieu, c’est ce qui fait qu’elle subsiste en la nature des choses. Voilà pourquoi certains disent que toute substance de ce genre est composée de deux choses : ce par quoi elle est et ce qu’elle est (ex quo est et quod est) ; ou bien encore : ce par quoi elle est et son essence (ex quo est et esse), comme dit Boëce[1].

» De ce qu’au sein des Intelligences, on admet acte et puissance, il n’est plus difficile de trouver pourquoi les Intelligences peuvent être multiples, tandis que ce serait impossible s’il n’y avait en elles aucune puissance. Aussi le Commentateur dit-il, au troisième livre De l’Âme, que nous ne pourrions comprendre la multiplicité des substances séparées si la nature de l’Intelligence en puissance nous demeurait inconnue.

» C’est donc par les divers degrés de puissance et d’acte qu’elles se distinguent les unes des autres ; plus une Intelligence est élevée, plus elle est proche de la Cause première, plus aussi elle possède d’acte et moins elle possède de puissance.

» Cette hiérarchie s’achève en l’âme humaine, qui est tout simplement le dernier degré des substances intellectuelles. L’intelligence en puissance qui est en elle se comporte à l’égard des formes intelligibles comme la matière première, qui n’est que le dernier degré de l’être, se comporte à l’égard des formes sensibles…

» Comme l’âme humaine a plus de puissance que les autres substances intellectuelles, elle devient si voisine des choses matérielles que les choses matérielles la tirent à elles afin qu’elle leur donne participation à son essence (esse) ; voilà pourquoi de l’union de l’âme et du corps résulte un composé dont l’essence (esse) est

  1. Nous avons vu précédédemment que ce dernier axiome n’est nullement de Boëce. Cf : ch. IX, § II.