Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
477
SAINT THOMAS D’AQUIN

aux Catégories, dit de l’οὐσία, tout ce que Boëce répète de la substantia.

Or, Aristote s’attache à distinguer entre les substances premières (πρώται οὐσία) qui sont individualisées, concrétisées en des sujets singuliers, et les substances secondes (δεύτεραι οὐσίαι) qui sont prises d’une manière abstraite et générale ; tel homme particulier, Socrate par exemple, voilà une substance première ; l’homme en général, voilà une substance seconde. Boëce n’avait point omis de commenter cet enseignement.

Cet enseignement, Saint Thomas va le reprendre au sujet de l’essence ou nature :

« Cette nature, ainsi considérée, dit-il[1], bien qu’elle désigne un composé de forme et de matière, ne désigne pas un composé contenant cette matière définie (materia demonstrata) qui subsiste sous des accidents déterminés et qui confère l’individuation à la forme ; un tel composé, en effet, est désigné par ce nom ; Socrate, [et non par le mot : homme]. Mais cette matière définie est, en quelque sorte, ce qui reçoit cette nature commune.

» Le mot nature ou essence a donc une double signification.

» Ce qu’il désigne est partie d’un certain tout, quand cette nature commune se trouve prise en même temps que le caractère apte à préciser chaque individu, car ce caractère n’appartient pas à la nature commune ; en ce cas, une matière définie intervient dans la composition de chaque individu également défini…

» Il peut, au contraire, désigner un tout ; c’est ce qui a lieu quand on conçoit ce qui appartient à la commune nature sans y joindre aucune précision individuelle, En ce sens, la matière définie elle-même est incluse en puissance dans la nature commune. En ce sens, aussi, l’essence est désignée par ce nom : l’homme ; elle est marquée par ce terme : quod est.

» Ce nom : essence se trouve pris tantôt d’une manière et tantôt de l’autre. Tantôt nous disons que Socrate est une certaine essence, et tantôt nous disons que l’essence de Socrate n’est pas Socrate.

» On voit, par là, que tantôt l’essence signifie le quo est ; c’est ce qui a lieu lorsqu’elle est désignée par ce mot : l’humanité ; et tantôt qu’elle signifie le quod est ; c’est ce qui a lieu lorsqu’elle est désignée par ce mot : l’homme. »

L’argumentation développée par Saint Thomas, dans ses Questions sur les Sentences, aussi bien qu’au De ente et essentia, vise la théorie qui identifie l’essence et la forme spécifique. Au De ente et

  1. Saint Thomas d’Aquin, loc. cit.