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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

dont toutes les choses qui existent en eux… On conclut de là que le Lieu n’est pas autre chose que la définition naturelle, la manière d’être et la position de toute créature, soit générale, soit spéciale ; de même, le Temps n’est pas autre chose que le changement qui, par génération, fait passer les choses du non être à l’être, et la mesure exacte du mouvement des choses changeantes. »

Il est clair que ces Prédicaments universels, tels que le Lieu général ou le Temps général, sont, dans la pensée de Scot, des attributs de l’Οὐσία universelle ; lorsqu’il décrit, en effet, les relations de l’Οὐσία aux autres catégories, il ne distingue jamais entre l’Essentia universelle et les substances particulières ; les termes entre lesquels ces relations sont établies peuvent être plus ou moins généraux ; les relations demeurent les mêmes.

Le Disciple d’Ibn Gabirol lui disait[1] : « Ce qui précède m’a montré avec évidence qu’il existe une Matière universelle et une Forme universelle ; mais dis-moi, maintenant, quelle est la définition de chacune d’elles ? »

« Ni l’une ni l’autre ne peut être définie, répondait le Maître, car au-dessus d’elles, il n’existe aucun genre qui puisse servir de principe à leur définition ; mais on peut les décrire à l’aide des propriétés qui les accompagnent.

» La description de la Matière première, tirée de ses propriétés, est la suivante : c’est une substance qui existe par soi, qui est numériquement une et qui est le support de la diversité. On peut encore la décrire ainsi : Elle peut recevoir toutes les formes.

» Quant à la description de la Forme universelle, la voici : C’est la substance qui constitue l’essence de toutes les formes. »

De ce dialogue, rapprochons celui qui se tient entre Jean Scot et son disciple, et dont voici des fragments[2] :

« Le Disciple. — Que dirons-nous donc du lieu, de la quantité, de la situation, que tu as mis au nombre des choses immobiles ? Car de l’οὐσία, c’est-à-dire de l’essence, personne ne doute qu’elle n’ait besoin de rien pour subsister ; on admet, en effet, que c’est par elle que les autres choses dont j’ai parlées sont soutenues. Mais ces choses, je veux dire le lieu, la quantité, la situation, sont mises au nombre des accidents de la substance. La substance est le sujet dans lequel ils existent et sans lequel ils ne sauraient être… Faut-il donc dire que ces trois choses, la quantité, la situation, le

  1. Avencebrolis Fons vitæ, Tract. V, cap. 22. p. 298.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. I, cap. 24, col. 470.