Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/478

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
472
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

chose tient de la Cause première par voie de création, de la forme (forma) qu’impriment en elle, par voie d’influence, les causes qui s’échelonnent au-dessous de la première ; à l’égard de cette forme, l’esse se comporte comme un sujet qui est en puissance d’en recevoir l’impression, comme une espèce de matière, ce qui lui vaut le nom de hyliathis, « seule, la Cause première n’a pas de hyliathis, car elle est seulement esse. » Rien, en elle, n’est en puissance de recevoir l’impression d’une forme.

Al Fârâbi s’exprime à peu près dans les mêmes termes que le Livre des causes. Toute chose, hors l’Être nécessaire, donne lieu, dit-il, à deux questions distinctes : Cette chose existe-t-elle ? Qu’est-elle ? Il y a donc à distinguer, en elle, l’existence et la quiddité ou nature. De l’Être nécessaire, il n’y a pas à demander ce qu’il est ; il n’a pas de quiddité.

« Cet être, dit Al Fârâbi dans ses Problèmes fondamentaux[1], n’a pas de quiddité (Was) tandis qu’un corps en a une. Qu’on demande, au sujet de ce dernier, s’il existe ; la notion d’existence sera quelque chose en soi et la notion de corps sera aussi quelque chose en soi. Mais de cet Être nécessaire, ou peut seulement dire qu’il a une existence, et c’est en cela que consiste son essence (Sein). »

Mais voici qu’en suivant les principes mêmes d’Al Fârâhi, Avicenne et Al Gazâli vont décrire, tout autrement que le Livre des causes ne l’avait fait, la dualité qui marque toute créature.

La Cause première est l’Être absolument nécessaire qui, comme tel, est absolument un.

Au contraire, toute chose inférieure à la Cause première contient une dualité qu’Al Gazâli décrit en ces termes[2] :

« Considérée selon son essence propre (quidditas), elle a la possibilité d’être ; considérée par rapport à sa Cause, elle a la nécessité d’être ; en effet…, tout ce qui est possible par soi tient d’autrui sa nécessité. Elle peut donc être jugée de deux manières, soit comme possible, soit comme nécessaire. En tant qu’elle est possible, elle est en puissance ; en tant qu’elle est nécessaire, elle est en acte. La possibilité, elle l’a par elle-même ; la nécessité, elle la tient d’un autre. Il y a donc, en elle, multiplicité ; il y a une chose qui est semblable à la matière, et une autre chose qui est semblable à la forme ; ce qui ressemble à la matière, c’est la possi-

  1. Alfarabis Abhandlungen, von Fr. Dieterici, Leiden, 1892 ; pp. 94-95.
  2. Voir : Troisième partie, ch. II, § VI ; t. IV, p. 444. — Voir aussi tout le § VIII (t. IV, pp. 474-488) du même chapitre.