Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
471
SAINT THOMAS D’AQUIN

tence en puissance ; en d’autres termes, elle est composée de matière et de forme. Au contraire, toute substance éternelle existe exclusivement en acte et nullement en puissance ; elle est forme pure, absolument exempte de matière ; elle est Intelligence. Les Intelligences sont les moteurs immobiles des sphères célestes, les seuls êtres divins que connaisse Aristote.

Thémistius[1] donne au problème la forme dont il ne se départira plus. En toute chose non divine, on doit, de la chose individuelle et concrète, distinguer la nature ; il faut distinguer telle masse d’eau et ce par quoi cette chose a la nature de l’eau, ὕδωρ καὶ τὸ ὕδατι εἶναι. Fidèle aux enseignements du Péripatétisme, Thémistius rattache cette dualité à celle de la matière et de la forme. C’est la forme qui caractérise la nature spécifique, tandis que l’union de la forme avec la matière engendre la substance individuelle et concrète.

« Mais il n’en est pas de même pour toute chose. Si une chose est simple et dépourvue de matière, la raison par laquelle elle est un certain être et la forme par laquelle elle est de telle sorte sont identiques à la nature entière de la chose. Έἰ τι αὔλον παντελῶς καὶ ἁπλοῦν, ἐφ’ ὧν ὁ λόγος τοῦ τί εἶναι καὶ τὸ εἶδος καθ’ ὅ ἐστι ταὐτόν ἐστιν ὅλῃ τῇ φύσει τοῦ πράγματος. » Dans une Intelligence pure, dans un être divin, l’individu concret est identique à la nature spécifique.

La pensée de Boëce[2] ne diffère qu’en un seul point de celle de Thémistius ; Boëce est chrétien ; il n’admet pas la divinité des Intelligences multiples du Péripatétisme ; il croit en un seul Dieu. En Dieu seul, donc, se rencontre la simplicité, c’est-à-dire l’identité de l’individu concret, id quod est, et de la nature spécifique, esse. Tout ce qui est au-dessous de Dieu est chose composée ; il y faut distinguer le id quod est de l’esse.

Avec le Néo-platonisme, une distinction s’introduit, que le Péripatétisme ne pouvait concevoir ; de la cause créatrice, se distingue la chose créée ou causée qui tient son existence de cette cause ; aussi, à la simplicité de la Cause première, cette doctrine oppose-t-elle d’une manière nouvelle la dualité qui est en toute chose causée.

Le Livre des causes définit à sa manière cette opposition[3]. En toute chose causée, on doit distinguer ce que ce livre nomme indifféremment essence ou existence (essentia, ens, esse), ce que cette

  1. Voir : Troisième partie, ch. I, § VI ; t. IV, pp. 395-396.
  2. Voir : Troisième partie, ch. IX, § ii ; ce vol., pp. 288-289.
  3. Voir : Troisième partie, ch. I, § ii ; t. IV, pp. 344-345.