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SAINT THOMAS D’AQUIN

l’enseignement de l’Église, toutes deux également certaines, ayant droit toutes deux à l’acquiescement de nos intelligences, même lorsqu’elles se contredisent formellement l’une l’autre ?

L’œuvre de Saint Thomas d’Aquin[1], c’est, semble-t-il, l’effort tenté par l’âme chrétienne pour sortir de la périlleuse situation où l’œuvre d’Albert le Grand l’avait placée. Comme son maître, Thomas d’Aquin admet qu’il existe une vérité philosophique, que cette vérité s’établit par voie de raisonnement et sans rien emprunter aux méthodes de la Théologie ; comme son maître, il admet que cette vérité se trouve, en grande partie, déposée dans les livres de ceux qu’Albert nommait les Péripatéticiens ; il admet aussi qu’une autre vérité réside dans les enseignements de l’Église, d’où les théologiens la tirent pour l’exposer plus à plein ; mais il est convaincu que ces deux vérités ne se peuvent opposer l’une à l’autre, qu’elles se doivent, au contraire, accorder de la plus harmonieuse façon ; et tous ses efforts, peut-on dire, vont à faire taire les dissonances qui nous empêcheraient de percevoir l’accord entre la Philosophie péripatéticienne et le Dogme catholique.

Nous pourrons assister, en quelque sorte, à l’éveil de la pensée philosophique de Saint Thomas en étudiant l’opuscule qu’il a intitulé : De ente et essentia. Les PP. Quétif et Echard, en effet, placent[2] entre 1248 et 1252 la date de composition de ce traité, tandis que Ch. Jourdain ne pense pas qu’il soit antérieur à 1253 ; mais tous les historiens s’accordent à y reconnaître une œuvre de jeunesse du saint Docteur ; cet ouvrage fut, sans doute, écrit à peu près dans le temps où Albert le Grand commentait le Liber de causis ;; le Liber de causis, s’y trouve cité à plusieurs reprises ;

  1. Dans l’étude de cette œuvre, il importe de n’employer que les traités authentiques de Saint Thomas d’Aquin, et non point les nombreux écrits apocryphes qui sont venus s’y mêler ; la séparation des uns et des autres se trouve faite, d’une manière complète et définitive, dans l’opuscule suivant : P. Mandonnet, O. P., Les écrits authentiques de Saint Thomas d’Aquin (Revue Thomiste, 1909-1910).
  2. Quétif et Échard, Scriptores ordinis Prœdicatorum, t. I, p. 271 et p, 278. Bartolomeo dei Fiadoni, un Dominicain lucquois, fut auditeur et confesseur de Thomas d’Aquin pendant son dernier séjour à Naples (1272-1274)» ainsi qu’il nous l’apprend lui-même (Historia Ecclesiastica, Lib. XXIII, cap. VIII). Après avoir rempli plusieurs charges de son Ordre, en Italie, il vécut à la Curie pontificale, en Avignon, depuis la fin de 1309, Il fut successivement attaché à la personne des cardinaux Léonard Patrussi († 7 décembre 1311) et Guillaume de Pierre Godin. Tandis que ce dernier était encore cardinal-prêtre du titre de Sainte-Cécile (déc. 1312-sept. 1317), Bartolomeo, dit par abréviation Tolomeo, et par corruption Ptolémée de Lucques, lui dédia son Historia Ecclesiastica. Barlolemeo fut, le 15 mars 1318, nommé évêque de Torcello ; il mourut en 1317. Les dates que les PP. Quétif et Échard attribuent aux écrits de Saint Thomas d’Aquin sont toutes empruntées à Historia Ecclesiastica de Ptolémée de Lucques, dont l’autorité, en cette circonstance, n’est pas niable.