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CHAPITRE XII
SAINT THOMAS D’AQUIN

I
LES DÉBUTS DE LA PHILOSOPHIE DE SAINT THOMAS D’AQUIN.
le traité De ente et essentia.


La lecture des traités d’Albert le Grand laissait l’esprit du lecteur dans une étrange perplexité.

Ce qu’Albert professait en ses livres, c’était, proclamait-il, l’opinion des Philosophes péripatéticiens ; ce n’était nullement son opinion personnelle ; cette opinion des Philosophes, il l’exposait selon la méthode syllogistique, sans aucun appel aux raisons de la Théologie ; au contraire, c’est en traitant de la Théologie qu’il promettait de faire connaître sa propre pensée, et cette pensée, nul n’en doutait, se conformait parfaitement à l’enseignement orthodoxe de l’Église catholique.

Il semblait donc, par l’exemple même d’Albert, qu’on pût développer, hors de la Théologie, une Philosophie capable de justifier ses conclusions à l’aide de principes évidents et de syllogismes parfaitement démonstratifs ; que les enseignements de cette Philosophie fussent, en bon nombre de points essentiels, tout à fait contraires au dogme catholique : enfin, que la connaissance de cette Philosophie n’empêchât point d’engager sa foi aux vérités que l’Église affirme. Quelle conclusion devait-on tirer de là ? Fallait-il donc admettre que les arguments philosophiques les plus convaincants en apparence, ceux-là mêmes qui avaient triomphé de toutes les objections, étaient, en réalité, sans force pour établir la vérité de leurs conclusions ? Ou bien fallait-il reconnaître l’existence de deux vérités indépendantes l’une de l’autre, l’une fondée sur les raisons des Philosophes, l’autre établir sur