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ALBERT LE GRAND

active particulière à cette âme et celle qui, émanée de l’Intelligence absolument séparée, éclaire l’intelligence active.

L’opération par laquelle la lumière émanée de cette intelligence absolument séparée agit en l’âme, Albert la compare[1] à celle par laquelle « la lumière de l’art s’étend jusqu’à la matière. »

Quelle est précisément cette Intelligence séparée dont l’intelligence active de chaque âme tient son activité ? Est-ce telle Intelligence céleste bien déterminée ? Faut-il, comme certains passages le laissent supposer, y voir l’Intelligence qui meut la première sphère, c’est-à-dire Dieu lui-même ? Faut-il, en se laissant guider par d’autres passages, attribuer ce rôle à des Intelligences multiples, à toutes les Intelligences séparées qui meuvent les cieux ? Il est fort malaisé, croyons-nous, de préciser quelle fut, à ce sujet, la pensée d’Albert ; ou plutôt, nous jugerions assez volontiers qu’il ne s’est pas, à cet égard, formé d’opinion bien déterminée.

Dans l’opuscule où il étudie spécialement l’immortalité de l’âme, Albert rapporte[2] avec faveur l’opinion d’Avicenne et d’Al Gazâli selon laquelle l’intelligence en puissance de chaque âme subsiste après la mort et demeure attachée à l’Intelligence séparée qu’ils nomment Intellectus agens. Cette opinion, toutefois, lui paraît présenter certaines difficultés, parmi lesquelles il mentionne celle-ci :

« Les Intelligences séparées sont, au dire d’Avicenne et d’Al Gazâli, d’ordres divers et multiples ; dès lors, ils eussent bien dû déterminer quelle est celle de ces Intelligences à laquelle l’âme retourne après la mort ; si c’est à toutes qu’elle retourne, ils eussent dû marquer si elle retourne à toutes de la même manière ou si elle revient de manières différentes aux différentes intelligences ; en ce cas, ils eussent bien fait de donner la cause de cette diversité. Selon cette opinion, en effet, il est nécessaire de répondre à toutes ces questions d’une manière déterminée, et cela n’est pas facile. »

La théorie d’Avicenne et d’Al Gazâli ne présente aucunement l’incertitude qu’Albert lui reproche ; l’Intellectus agens occupe un rang précis, qui est le dixième et dernier dans la hiérarchie des Intelligences célestes ; mais il semble qu’Albert ait projeté sur cette théorie ce qu’il y avait, dans la sienne, de trouble et d’hésitant.

Quoiqu’il en soit, et pour nous en tenir à ce qu’il y a de net en

  1. Alberti Magni Op. laud., lib. II, cap. XI.
  2. Alberti Magni De natura et origine animæ tract. II, cap. X.