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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

l’intelligence en puissance n’est pas tout à fait matière par rapport à l’intelligence active ; elle se comporte comme un lieu, comme se comporte un corps transparent à l’égard des couleurs ou la matière à l’égard de la lumière. »

Pour exprimer cette manière d’être qui n’est pas matière, hyle, mais qui, cependant, lui ressemble, Albert n’emploie pas encore le mot hyliathis ; il n’en usera qu au Liber de causis ; mais l’idée que ce mot désignera est déjà formée dans son esprit. Il n’est pas douteux qu’en l’àme humaine, c’est l’intelligence en puissance qui représente la hyliathis, tandis que l’intelligence active est la forme. Si nous en doutions, d’ailleurs, un texte viendrait bientôt nous en donner la certitude. Nous savons qu’en toute substance séparée, la hyliathis est, au gré d’Albert, définie par ces mots : quod est, et la forme par ceux-ci : ex quo est. Or Albert écrit[1] :

« Nous déduisons l’existence de l’intelligence active et de l’intelligence en puissance des deux propositions suivantes :

» En premier lieu, toute nature intellectuelle qui, par elle-même, a possibilité et qui, de la Cause première, tient sa nécessité, peut, se réfléchir sur elle-même.

» En second lieu, par cette réflexion, la lumière émanée de la Cause première pénètre la possibilité que cette substance tient d’elle-même. »

« Telle est, poursuivit Albert le Grand, la composition singulière que possède l’intelligence, composition différente de celle qui se résout en matière et forme. Et certainement, c’est là ce qu’a entendu Aristote en ce qu’il a dit de l’intelligence. C’est cette opinion-là, à l’exclusion de tout autre, qui est véritable. » Peut être est-il permis de penser qu’à la formation de cette théorie, Proclus et Avicenne ont eu plus de part qu’Aristote.

Si nous en poursuivons l’exposé, nous y reconnaîtrons mie influence d’autre origine.

Entre l’intelligence purement en puissance et l’intelligence active, se trouve l’intelligence spéculative qui résulte de leur union. Le nom d’intelligence formelle qu’Albert lui donne également, montre qu’à l’égard de l’intelligence en puissance, elle se comporte comme une forme ; l’intelligence en puissance est donc le sujet, le support de deux principes formels, l’intelligence spéculative et l’intelligence active ; comment faut-il concevoir ses relations avec ces deux formes ?

« L intelligence spéculative s’unit et s’adapte à l’intelligence en

  1. Alberti Magni De unitate intellectus contra Averroem cap. VI.