Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
456
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

sein des substances intellectuelles séparées ; voyons de quelle manière il s’y peut rencontrer.

L’axiome qui nous permettra de l’y trouver est celui-ci[1] : « En toute nature où il y a un principe actif (agent), il y a aussi un principe passif (patiens), en sorte qu’au sein même de l’âme, ces deux principes différents doivent exister. »

Cet axiome, Albert le développe en un chapitre de son traité De causis et processu universitatis a causa prima[2].

Toute intelligence, toute âme, toute nature qui exerce une action, qui opère, doit être une intelligence, une âme, une nature individualisée ; elle doit être hoc aliquid. Or, dire : Cette âme-ci, c’est, sous la nature commune de l’âme, mettre un support, une hypostasis qui lui confère l’individualité. Donc, toute intelligence active, toute âme active est, en même temps, support, fondement, hypostase. Ce fondement, c’est ce par quoi elle est passive, en même temps qu’elle est active par sa forme.

Dans un être soumis à la génération et à la corruption, le principe passif qui supporte la forme et qui l’individualise, qui en fait hoc aliquid, c’est la matière première, la hyle.

« Mais, dans les choses incorporelles, disent Aristote et Boëce, il n’y a pas de hyle. » Il y faut, cependant, trouver ce fondement qui aura, comme la hyle, la propriété de supporter la nature commune. « Ce qui fait subsister la commune nature et l’individualise (determinat ad hoc aliquid) a la propriété d’un principe matériel (principium hyleale) ; aussi beaucoup de philosophes lui donnent-ils le nom de hyliathis qui est dérivé du mot hyle. »

Ce mot : hyliathis se trouvait, en effet, employé, avec le sens qu’Albert lui donne, au Livre des causes extrait des écrits de Proclus ; pour exprimer que la Cause première était exclusivement active et nullement réceptrice, Proclus y déclarait[3] la Cause première dépourvue de hyliathis.

Cette proposition, d’ailleurs, Albert la concède à l’auteur néoplatonicien. La Cause première est un individu, elle est hoc aliquid : il y a donc, en elle, le fondement qui individualise ; mais, à cause de la simplicité de la Cause première, ce principe est identique à son existence même ; elle n’est pas composée de hyliathis et de forme.

  1. Alberti magni De anima lib. III, tract. III, cap. XI.
  2. Alberti magni De causis et processo universitario a Causa prima lib. II, tract. II, cap. XVIII.
  3. Liber de causis. IX (Opuscula Aristotelis cum expositione Sancti Thomæ, Venetiis, 1507 ; fol. 76. coL d.) — Voir : Troisième partie, Ch. I, § II ; t. IV, p. 345.