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ALBERT LE GRAND

propriétés de la matière, sinon les deux caractères suivants : En premier lieu, elle peut servir de fondement à une forme ; en second lieu, elle peut subdiviser en êtres [individuellement distincts] la forme à laquelle elle sert de fondement. Voilà la réponse que donne Avicébron au livre intitulé De forma et materia ou encore Fons vitæ.

» Mais à cette réponse, [les Averroïstes] répliquent de la manière suivante : Selon la Philosophie tout entière, il est une chose bien évidente ; c’est que d’une matière et d’une chose qui est déjà individualisée (hoc aliquid) ne saurait se former un être unique. Si donc l’âme raisonnable est déjà, de la sorte, par composition d’une matière avec une forme, un individu (hoc aliquid), elle ne pourra, avec le corps, constituer une chose qui soit douée d’unité substantielle. En sa substance, l’homme ne serait pas un, ce qui est faux. »

Il faut donc accorder[1] aux Averroïstes qu’« Avicébron a mal dit lorsqu’il a prétendu que l’intelligence avait pour fondement une matière. »

Au Rabbin de Malaga, Albert refuse que l’âme séparée du corps ait néanmoins une matière ; mais il n’accorde pas non plus à Avempace, à Abubacer et à Averroès que toutes les âmes séparées confluent en une substance unique ; il lui faut dons admettre, contrairement à l’un des dogmes essentiels du Péripatétisme, à l’un de ceux qu’il a le plus souvent et le plus formellement invoqués, que le principe capable d’individualiser les âmes séparées est autre chose qu’une matière ; c’est ce qu’il va faire[2].

« Avicébron a mal dit quand il a prétendu que l’intelligence avait pour fondement une matière, car… il a été expressément prouvé que ce n’est pas une matière ; ce fondement, cependant, c’est quelque chose qui appartient au genre de la substance ; comme ce n’est pas ce qui, dans la nature de l’intelligence, joue le rôle d’agent, il faut que ce soit ce qui, à cette nature, sert de fondement et de soutien ; si cette substance n’existait pas, la nature intellectuelle ne se rencontrerait pas dans les substances séparées… Comme, d’ailleurs, ce fondement n’est pas une matière, il n’empêche pas que le composé dans lequel il se trouve ne puisse, avec un corps, former quelque chose qui soit doué d’unité. »

Ce fondement, ce support qui, sans être matière, est principe d’individuation, il se trouve, Albert vient de le déclarer, même au

  1. Alberti magni Op. laud., cap. VII, ad 16m.
  2. Albert le Grand, loc. cit.