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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

peut venir que de la Virtus universelle contenue dans l’Essentia universalis dont nous venons de parler.

» On en peut dire autant de la propria operatio de la substantia très spéciale ; elle descend de l’Opération universelle qui est en l’Essence universelle.

« Qu’on ne s’étonne pas si ces trois choses, lorsqu’on les considère dans les substances singulières, puissent être regardées comme des sortes d’accidents de la susdite Trinité universelle… Cette Trinité, toutefois, est, par elle-même, une chose unique ; en tout ce qui vient d’elle et existe par elle, elle demeure soustraite à tout changement ; elle ne s’y peut augmenter ni diminuer, corrompre ni périr. Au contraire, les trinités très particulières que l’on considère dans les êtres singuliers peuvent croître ou décroître et varier de multiple façon ; en effet, ces êtres ne participent pas tous d’une manière semblable à l’Essence universelle, à la Vertu universelle, à l’Opération universelle ; ils y participent les uns plus et les autres moins ; mais aucun d’entre eux n’est entièrement privé de cette participation.

» Quant à la Trinité universelle, elle demeure une et toujours la même en tous les êtres qui participent d’elle ; à aucun d’entre eux, elle ne se présente d’une manière différente, offrant une participation plus ou moins grande. Elle est pour eux comme la lumière pour les yeux ; elle est toute en tous et elle demeure en elle-même. »

Cette Trinité universelle, d’ailleurs, Jean Scot lui donne le nom d’Intelligence : « Admettons donc que cette triple Intelligence des choses, formée par l’Essence, la Vertu et l’Opération, est l’immuable support, le ferme fondement que le Créateur a donné à toutes choses. »

Si l’on remplaçait, dans cette description de l’Essentia universalis, le mot virtus par le mot materia et le mot operatio par le mot forma, on se conformerait au langage des Péripatéticiens latins, langage qui fait correspondre la matière à la δύναμις et la forme à l’ἐνέργεια ; mais ne semblerait-il pas, alors, que les précédents passages de Jean Scot sont destinés à décrire la Matière Universelle et la Forme universelle considérées par Ibn Gabirol ?

Examinons de plus près la méthode que suit l’Érigène pour définir et décrire cette Matière première.

« Je vois, dit le Disciple[1], presque toutes les categories si

  1. J. Scoti Erigenæ Op. laud., lib. I, cap. 26 ; éd. cit., col. 472.