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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

tée par tous ceux qui comprennent les raisonnements de la Philosophie. »

Contre cette erreur exécrable, l’argumentation philosophique d’Albert est particulièrement délicate et malaisée ; car, avec tous les Péripatéticiens, il accorde le postulat dont on a coutume de la déduire ; il admet que la matière est le seul principe d’individuation, que des êtres de même espèce ne sautaient se distinguer les uns des autres, si ce n’est par les portions différentes de matière qui leur sont assignées.

La matière d’un être[1], c’est ce par quoi cet être est et paraît telle chose déterminée (hoc aliquid)…

» Nous disons : La matière est ce par quoi un être est telle chose déterminée, parce que c’est elle qui est le premier principe de l’individuation ; et l’être qu’elle individue apparaît comme un individu parce qu’elle tombe sous les sens, qu’elle est susceptible de recevoir les distinctions qui proviennent de la quantité et de la qualité sensibles.

» Les deux caractères suivants appartiennent donc en propre à la matière : Elle accompagne tout ce qui est telle chose déterminée, car c’est elle qui est le principe qui confère à cette chose son individualité, Elle accompagne tout ce qui se montre comme une chose déterminée, car c’est elle qui, dans les substances soumises aux sens, est déterminée par la quantité et par la qualité sensibles.

» Ni l’un ni l’autre de ces caractères ne se rencontre en la forme. S’ils se rencontrent tous deux dans une substance composée de matière et de forme, ils s’y trouvent à cause de la matière. »

D’ailleurs, pour la Philosophie péripatéticienne, il n’y a point de matière là où il n’y a point de corps. « Dans les choses[2] qui sont séparées [de tout corps], il n’y a absolument aucune matière. » Les âmes, donc, ne pourront être individuellement distinctes les unes des autres qu’en raison des corps différents auxquels elles sont associées ; après avoir décrit la formation des âmes et des corps des Cieux, Albert a eu soin d’attirer notre attention sur cette proposition[3] : « On voit clairement par là comment chaque Intelligence est individualisée par son orbe, et par son orbe seulement. »

Ces principes accordés, il semble que l’unité de l’âme humaine séparée des corps qui l’individualisaient en déroule nécessaire-

  1. Alberti magni Metaphysica, lib. XI, tract. I, cap. VII.
  2. Albert le Grand, loc. cit.
  3. Alberti magni Op. laud., lib XI, tract. II, cap. XX.