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ALBERT LE GRAND

pher de l’hérésie monopsychiste s’est manifestée à lui d’autant plus clairement qu’il la combattait depuis plus longtemps. Au De natura et origine, animæ, après avoir exposé « l’erreur d’Averroès, d’Abubacer et d’Avempace, « il déclarait[1] : « C’est une erreur tout à fait absurde et mauvaise, qu’il est très facile de réfuter. Est autem hic error omnino absurdus et pessimus et facile improbabilis. » Or, un chapitre[2] du De unitate intellectus contra Arerroem est consacré à examiner « la difficulté de la question dont on va disputer. » « Cette discussion est extrêmement difficile, dit Albert : il n’y faut admettre que ceux qui ont été nourris en la Philosophie ; car, pour lesautres, ce seront seulement des mots qu’ils pourront sans doute entendre, mais qu’ils ne seront pas capables de comprendre. » Que la discussion de l’erreur averroïste lui paraisse ardue, on le comprend sans peine, lorsqu’on l’entend énumérer[3] trente raisons qui concluent en faveur de cette erreur et qu’il lui faudra réfuter[4] une à une. Toutefois à l’encontre de ces trente arguments qui se sont portés forts pour l’hérésie monopsychiste, il peut, de son côté, faire avancer[5] un bataillon de trente-six raisons, toutes valables contre la même hérésie.

Quelle que soit la difficulté de vaincre, Albert n’appellera pas à son secours l’aide que la Théologie lui pourrait fournir. Il combattra uniquement sur le terrain de ce qu’il appelle la Philosophie péripatéticienne. « Il nous faut voir par raisons et syllogismes ce qu’on doit admettre et soutenir[6]. Quelle que soit la doctrine voulue par notre Religion, nous la passerons sous silence, ne recevant rien qui n’admette une démonstration par syllogisme. »

Il poussera le scrupule en ce sens jusqu’à ne faire aucune allusion aux périls qu’offrirait, pour la foi chrétienne, une doctrine qui fondrait en une âme unique toutes les âmes des défunts. S’il combat cette doctrine, c’est simplement, semble-t-il, parce qu’elle est contraire à la saine Philosophie. « Il nous semble bon, dit-il au De anima[7], d’opposer des raisons fortes et démonstratives à ceux qui soutiennent cette doctrine, parce que nous croyons que c’est une folie et que beaucoup de grands philosophes ont eu cette hérésie en horreur. » « C’est une erreur exécrable répète-t-il au traité De natura animæ[8] qui doit être évitée et reje-

  1. Alberti Magni De natura et origine animæ, tract. II, cap. IV.
  2. Alberti Magni De unitate intellectus contra Averroem, tract. III.
  3. Alberti Magni Op. laud., cap. IV.
  4. Alberti Magni Op. laud., cap. VII.
  5. Alberti Magni Op. laud., cap. V.
  6. Alberti Magni Op. laud., cap. I.
  7. Alberti Magni De anima, lib. III, tract. III, cap. XIV.
  8. Alberti Magni De natura et origine animæ, tract. II, cap. IX.