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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

n’aille attribuer une âme aux cieux et aux astres, car ils sont inanimés et insensibles. »

» Je crois donc plus vrai de dire que les cieux se meuvent seulement par l’ordre et la volonté de Dieu. Les susdites raisons prouvent simplement qu’ils sont mus par une nature qui est une forme motrice corporelle. C’est, d’ailleurs, ce que disent certains philosophes, et aussi les astronomes comme Plolémée, Albatégni, Albumasar, Géber et nombre d’autres…

» Nous avons discuté cette question ailleurs[1] et avec de plus grands développements ; nous avons suivi, alors, les dires de certains maîtres en Théologie qui ont voulu ramener les opinions des physiciens à [s’accorder avec] la Théologie ; nous avons dit que les anges sont au service de Dieu pour mouvoir les cieux et que ce sont eux qui ont, des philosophes, reçu le nom d’âmes ; mais on ne formule pas de cette façon une affirmation aussi sûre que celle-ci : Les cieux sont mus par la seule volonté de Dieu, jointe à leur nature propre qui n’a rien de contraire au mouvement. »

Les palliatifs par lesquels les théologiens auxquels Albert fait allusion tentaient de concilier le Péripatétisme avec le dogme, semblent lui inspirer une véritable indignation.

Il cite[2] par exemple, cet argument dont certains usaient pour prouver l’existence des anges :

« Tout ce qui est en mouvement est mû par quelque moteur ; le ciel est en mouvement ; donc il est mû par un moteur ; d’ailleurs, comme le ciel est incorruptible par nature, il faut qu’il soit mû par une substance incorruptible séparée de la matière ; c’est cette substance que certains appellent ange. »

« À cet argument, dit-il, il faut répondre que c’est une folie (insania). Pour nous, nous ne tomberons jamais en cette erreur de dire que losanges sont nécessaires au mouvement des cieux ; sans doute, nous ne nions pas que les anges les puissent mouvoir ; mais la raison de la création [des anges] et leur nombre ne dépendent pas des mouvements des cieux. »

Les partisans de la théorie qu’Albert malmène si fort ne se laissaient pas convaincre sans résistance ; Albert, disaient-ils, ne comprend rien à l’opinon des philosophes. Le célèbre Frère Prêcheur relève ce propos, et vertement[3].

« On dira peut-être que je ne comprends rien aux philosophes

  1. C’est évidemment à sa Métaphysique qu’Albert fait ici allusion.
  2. Alberti Magni Op. laud., lib. II, dist. III, art. I : An angelus et habens ordinem in Universo.
  3. Alberti Magni Op. laud., lib. II, dist. III, art. III : An theologi vocant angelos illas substantias separatas quas philosophi vocant intelligentias.