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ALBERT LE GRAND

Demandons donc maintenant aux écrits théologiques de notre auteur ce qu’il faut penser des moteurs des cieux.

Quelle réponse notre demande va-t-elle recevoir ? Albert va-t-il garder les traits essentiels de la théorie péripatéticienne et néo-platonicienne ? Se contentera-t-il de la teinter de Christianisme en donnant aux Intelligences célestes le nom d’anges ? Ainsi faisaient Avicenne, Al Gazâli et Maïmonide, afin de rendre cette théorie acceptable aux Musulmans et aux Juifs ; ainsi fera Saint Thomas d’Aquin, mû par le désir de la faire recevoir des Chrétiens. Ce n’est pas de cette façon qu’agira l’Évêque de Ratisbonne ; il ne se contentera pas d’un tel palliatif ; très clairement, il marquera ce qu’il y a d’hétérodoxe, d’incompatible avec le dogme chrétien dans la théorie péripatéticienne et néo-platonicienne des intelligences célestes ; très formellement, de cette théorie, il rejettera tout.

Lisons son écrit sur les Sentences.

Nous y trouvons cette question[1] : « Le ciel se meut-il, et le principe de son mouvement est-il le même selon les philosophes et selon les théologiens ? »

Voici la réponse :

« Parmi les Arabes, tous les philosophes ont dit et prouvé de multiple façon que le ciel est mû par une âme qui lui est conjointe ; c’est là ce que disent Aristote, Avicenne, Averroès, Algazel, Al Fârâbi, le Maure Albumasar et Rabbi Moïse. Ils disent tous que le ciel a trois moteurs, savoir : La Cause première, objet du désir de la première Intelligence : puis la première Intelligence qui est pleine de formes susceptibles de se développer par le mouvement de son orbe ; mais comme l’intelligence est simple, elle ne saurait tendre à tel ou tel mouvement particulier en telle ou telle situation ; il y a donc un troisième moteur conjoint au ciel ; au dire de ces philosophes, c’est une âme. Quant à la nature du ciel, elle est une simple disposition au mouvement, car le ciel est naturellement mû en cercle ; en lui, il n’y a pas une composition qui contrarie ce mouvement… Ils s’accordent donc tous en ceci, que la force du premier moteur opère en tous les moteurs inférieurs, que la force du second moteur opère, à son tour, en ceux qui sont au dessous de lui, et que cette descente se poursuit.

» Mais que tout cela ne soit qu’une maudite erreur (error maledictus), cela se voit clairement par cette parole de Saint Jean Damascène, qui dit, au Chapitre VI de son second livre : « Que nul

  1. Alberti Magni Scriptum in secundum librum Sententiarum, dist. XIV, art. VI : Utrum cælum movealur, et an sit idem principium motus cæli secundum philosophos et theologos.