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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

diation de la Cause première est d’un ordre inférieur à cette Cause…

» C’est ainsi que les Intelligences et les orbes sont causés par la Cause première.

» On voit bien, en suivant cet ordre, comment la Cause première rayonne sur tout ce qui existe.

» L’orbe de la Cause première contient la Matière universelle, En même temps, à sa lumière se conjoint le rayon de l’Intelligence du second orbe ; en s’unissant à la lumière émanée de la Cause première, ce rayon inférieur détermine davantage cette lumière. Ce rayon déjà double se joint, à son tour, à un rayon inférieur et, par là, il se trouve plus étroitement déterminé. Il se fait ainsi une propagation descendante [de la lumière de la première Cause], propagation qui parvient enfin à la matière des choses susceptibles de génération ; là, par les qualités et les formes matérielles, cette lumière reçoit sa plus grande détermination.

» C’est donc ainsi, selon les Péripatéticiens, que les Intelligences et les Orbes ont passé à l’existence. On voit clairement par là que chaque Intelligence est individualisée par son orbe, et non par quoi que ce soit d’autre. »

Il serait difficile de particulariser en les nommant ces Péripaléticicns auxquels Albert attribue la curieuse théorie qu’on vient de lire et qui rappelle les théories de la lumière proposées par Robert Grosse-Teste et par le Liber de Intelligentiis. Mais la proposition qui la termine porte, bien visible, sa marque d’origine. C’est celle dont Ibn Bâdja, Ibn Tofaïl, Averroès, Maïmonide tiraient cette conclusion : Les âmes humaines, lorsqu’elles ont quitté le corps où elles résidaient, se résolvent en une âme unique. C’est le fondement de cette hérésie que Guillaume d’Auvergne voulait qu’on n’extirpât point seulement par des raisonnements philosophiques, mais par le glaive et la torture.

Devons-nous donc prêter à l’Évêque de Ratisbonne les funestes principes qui justifient une telle erreur ? La complaisance avec laquelle il vient de développer la théorie des Intelligences motrices des cieux serait bien faite pour nous donner à penser qu’il admet cette doctrine. Ne nous laissons pas aller, cependant, à une telle opinion. Albert nous a prévenu de ne jamais chercher, dans l’exposé qu’il donne des sentiments des philosophes, l’expression de son propre sentiment. Ce qu’il nous présente avec l’apparence d’une entière conviction, il ne le prend nullement à son compte. C’est seulement lorsqu’il discourra de Théologie qu’il nous avouera ce qu’il croit vrai.