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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

l’hémisphère éclairé. L’Intelligence [céleste], au contraire, ne pénètre pas à l’intérieur du corps, mais elle l’enveloppe de sa lumière ; cette lumière produit une action qui est le mouvement même du corps mû par cette Intelligence. »

De quelle nature est le lien qui unit la seconde Intelligence à la Cause première ? Pour nous le dire[1]. Albert s’inspirera fortement d’Avicenne : « Cette seconde Intelligence est à la Cause première comme l’effet est à la cause. Lorsqu’il s’agit des choses qui ont matière, le rôle de la cause efficiente est de tirer la forme de la matière : mais en ces êtres qui n’ont pas de matière, le rôle de la Cause première consiste à servir de support et de fondement à la cause seconde. Sans doute, les Péripatéticiens déclarent que l’Intelligence est la forme et le moteur du Ciel ; mais elle n’est pas tirée de ce Ciel comme d’une [matière où elle serait en] puissance, et cela parce que le Ciel n’est pas chose qui puisse être engendrée. Lors même, d’ailleurs, que le Ciel pourrait être engendré, l’Intelligence n’en serait pas tirée, car l’Intelligence n’est pas une forme ou substance qui existe dans une matière. C’est, bien plutôt, le corps qui est adapté à l’Intelligence ; il lui est adapté afin d’être l’instrument du mouvement qui est en elle, mais non point comme est adaptée à une substance une chose qui est nécessaire à l’existence de cette substance.

» L’Intelligence est donc produite à l’existence par la lumière de la Cause première, comme les lumières des planètes sont constituées par la lumière du Soleil. Cette lumière émanée de la Cause première s’adapte à elle-même un corps sur lequel elle puisse irradier les formes dont elle est pleine. »

Comment se fait cette adaptation de chacun des cieux à l’Intelligence qui le doit mouvoir ? Albert va nous le dire tout aussitôt ; dans l’explication qu’il nous en donnera, il sera facile de reconnaître l’influence exercée par la théorie bien connue d’Al Fârâbi, d’Avicenne, d’Al Gazâli, de Moïse Maïmonide ; mais nous ne pourrons pas n’y point soupçonner en même temps une autre influence, celle d’Avicébron. Voici les parties essentielles de l’enseignement du Frère Prêcheur[2].

« En tout ceci, il nous faut rappeler une doctrine au sujet de laquelle tous les Péripatéticiens s’accordent avec les Stoïciens et, surtout, avec les Platoniciens ; cette doctrine affirme que la Matière première n’a pas été appelée à l’existence par quelque cause génératrice ou motrice, mais qu’elle est perpétuelle.

  1. Alberti Magni Metaphysica, lib. XI, tract. II, cap. XX.
  2. Albert le Grand, loc cit.