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ALBERT LE GRAND

qu’un corps n’en a, toutefois, l’Intelligence qui est relative au second mobile ne s’approche pas autant du premier Moteur que le premier Mobile, qui est en rapport avec la première Substance motrice. De même, bien que le premier Moteur soit un être simple, cependant, ce qui procède de lui n’est pas un être simple ; c’est un corps composé ; si ce second être, en ellèt, était absolument aussi simple que le premier Moteur, il ne s’en distinguerait pas.

» Mais il est bien vrai que c’est un corps unique, qui est aussi voisin que possible de l’Acte premier et pur ; en ce corps, il n’est rien qui soit en puissance, sinon le lieu (uni) ; et comme nous l’avons dit, le Moteur de ce corps, selon les Péripatéticiens, c’est la première Substance… Il se peut bien qu’ils se soient trompés, mais c’est là ce qu’ils ont dit. « 

Chemin faisant, Albert rencontre un des enseignements courants de la Théologie de son temps ; de ce verset : « In principio, Deus creavit cælum et terram, » les Pères avaient proposé une interprétation selon laquelle cælum désignait l’ensemble des créatures angéliques, et terram l’ensemble des corps, cieux et éléments ; notre néophyte du Péripatétisme ne perd pas cette occasion de rejeter hors de la Philosophie une semblable théorie : « Certains prétendent que Dieu a créé d’abord les anges, puis les orbes célestes ; mais cela ne peut se prouver d’une manière démonstrative. Dire cela, donc, c’est tenir un discours étranger à la Philosophie. Une telle affirmation, nous ne la discutons pas et nous ne pouvons pas la discuter, car nous rejetons les raisonnements de rhéteur (rationes topicas). »

Comment ces Âmes des cieux sont-elles, à la fois, séparées des corps qu’elles meuvent et unies à ces corps ? C’est une question fort embarrassante, à laquelle Albert ne répond guère que par des comparaisons. « Ces substances, dit-il[1], sont séparées en ce sens qu’elles n’usent d’aucun corps pour accomplir leur opération essentielle, » qui est de se connaître elles-mêmes ; « mais elles sont unies à des corps, en ce qu’elles enveloppent les corps, les contiennent et les meuvent par l’action de leur propre mouvement et de leur propre vie ; elles les enveloppent dans l’ampleur de leur puissance, comme la lumière solaire enveloppe tout l’hémisphère éclairé de la terre… L’âme d’un animal est infusée dans le corps ; elle en pénètre les divers membres, et, en chacun d’eux, les puissances qu’elle renferme sont réalisées de manière différente ; ainsi en est-il de la lumière du Soleil au sein des divers corps de

  1. Alberti Magni Metaphysica, lib. XI, tract. II, cap. XIII.