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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

En tous les autres points, ils sont d’accord avec l’opinion que nous avons précédemment indiquée…

» C’est cette opinion qu’ont choisie Al Gazâli et quelques autres philosophes arabes… Il semble également qu’elle ait obtenu le consentement complet de ce philosophe juif qui se nomme Rabbi Moïse, et de cet autre juif qui, avant celui-ci, fut grand philosophe, et qu’on appelle Isaac.

» Enfin, quelques-uns des principaux Péripatéticiens ont tenu une voie intermédiaire entre les deux précédentes. Ils ont dit que les cieux possédaient des Âmes ; ils n’ont pas admis l’existence d’Intelligences distinctes de ces Âmes, mais ils ont dit que ces Âmes-là n’avaient, des vertus de l’âme, qu’une raison universellement active et qu’un désir ou appétit. »

Dans ce langage, nous reconnaissons sans peine celui dont le substantia orbi a usé pour présenter la théorie d’Aristote ; mais l’idée d’Averroès est, ici, bien étrangement défigurée, puisqu’on n’y admet l’existence d’aucune Intelligence séparée.

C’est ce troisième parti qui recueille l’assentiment d’Albert, et cet assentiment, il en donne une raison qui s’inspire encore d’Averroès : « Le philosophe ne doit rien imaginer ni affirmer qu’il ne puisse démontrer par raison. »

Ce principe : Il ne faut rien admettre dont la raison ne démontre l’existence, le conduit[1] à cette autre conclusion : Il est inutile d’admettre aucune Intelligence autre que celles qui meuvent les cieux.

Aristote, dont Averroès épouse, bien entendu, le sentiment, avait identifié l’Intelligence suprême avec le Moteur du premier mobile ; les Néo-platoniciens arabes n’avaient donné à la Cause première aucun orbe qu’elle dût mouvoir ; le premier mobile était mû, à leur avis, par la première des Intelligences créées, par le premier Causé. Pas plus qu’Averroès, Albert ne veut d’une Intelligence oisive et, partant, oiseuse, dont la Philosophie serait impuissante à justifier l’existence :

« Une substance séparée, qui ne serait pas rattachée à un mouvement et à un mobile, ne saurait exister selon la raison philosophique ; il ne peut, d’ailleurs, y avoir aucun mouvement avant le mouvement local. La raison ne peut donc affirmer que ceci : Le premier corps mû doit être immédiat à la première Substance motrice. Bien que l’Intelligence, en tant qu’elle est intelligence, paraisse avoir, avec la première Substance, plus de ressemblance

  1. Alberti Magni lib. XI, tract. II, cap. XVII.