Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
441
ALBERT LE GRAND

adresser ; nous allons lui demander comment les orbes des cieux et leurs moteurs ont émané de la Cause première. Dans sa Métaphysique, il nous répondra d’une manière détaillée : un court chapitre du Liber de causis[1] viendra simplement confirmer sa réponse.

Parmi ceux qu’Albert nomme les Péripatéticiens, diverses théories ont cours au sujet des moteurs célestes ; l’une est celle qu’Aristote a proposée au XIe livre de la Métaphysique et qu’Averroès a présentée, au traité De substantia orbis, sous une forme très rigoureuse ; l’autre est celle qu’Al Fârâbi. Avicenne, Al Gazâli se sont complus à développer ; sans adopter pleinement ni l’un ni l’autre de ces deux systèmes. Albert empruntera, tantôt à l’un et tantôt à l’autre, les diverses parties de la doctrine que nous lui entendrons exposer.

Entre la théorie péripatéticienne et la théorie néo-platonicienne, la première différence essentielle était celle-ci : À chaque orbe, Aristote donnait simplement une Intelligence motrice, immobile et séparée de tout corps ; inspirés par des Commentaires à la Métaphysique faussement attribués à Alexandre d’Aphrodisias, Al Fârâbi, Avicenne, Al Gazâli, douaient chacun des cieux d’une Intelligence séparée et d’une Âme unie à l’orbe.

Albert connaît ces divergences. « Tous les Péripatéticiens, dit-il[2], affirment que les orbes célestes possèdent des Âmes » : mais cette affirmation, ils l’entendent de trois manières.

Suivant une première opinion, l’orbe n’a point d’Intelligence distincte de l’Âme, et cette Âme est, comme celle des êtres vivants, douce d’imagination et de volonté. « C’est une ancienne supposition qu’ont admise beaucoup de grands philosophes… ce fut celle de Platon, comme on le voit en ses écrits. » Albert ajoute : « Avicenne semble suivre cette opinion. » Mieux renseigné, au Livre des causes, il met[3] Avicenne « avec Algazel insecutor ejus, avec Al Fârâbi qui les a tous deux précédés, et, parmi les Grecs, avec Alexandre et Porphyre. »

« D’autres philosophes, qui furent postérieurs aux premiers, poursuit Albert[4], ont dit aussi que les cercles célestes possédaient des Âmes ; mais outre les Âmes, il existe, à leur avis, des Intelligences séparées et actives qui président à ces Âmes ; conformément au langage vulgaire, il donnent à ces Âmes le nom d’Anges.

  1. Alberti Magni Liber de causis et de proressu universitatis a Causa prima. lib. I, tract. IV, cap. VII.
  2. Alberti Magni Metaphysica, lib. XI, tract. II, cap. X.
  3. Alberti Magni Liber de causis lib. I, tract. IV, cap. VII.
  4. Alberti Magni Metaphysica, lib. XI, tract. II, cap. X.