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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

ches, c’est peut-être Maïmonide ou Alexandre de Hales, mais c’est aussi et surtout l’auteur même de la Physique. La violence de ces reproches ne doit plus nous surprendre : nous entendons le mea culpa d’un converti.

Sous le même froc de frère Prêcheur, deux Albert se sont succédés.

L’Albert qui entreprenait l’exposé de la Philosophie d’Aristote et qui rédigeait la Physique, était tout imbu encore des enseignements de la Théologie alors classique, de celle qui pouvait revendiquer Saint Augustin comme son principal inspirateur. Il entendait bien ne pas sacrifier les enseignements de cette Théologie aux doctrines physiques et métaphysiques des Grecs et des Arabes. Faire le départ de ce qu’on pouvait accepter de cette Science profane et de ce qu’il fallait garder de la Science sacrée, c’était, assurément, œuvre délicate ; mais en l’art de l’accomplir, Albert avait découvert un maître, Moïse Maïmonide ; la prudente critique du docte Rabbin avait permis au Frère Prêcheur de soustraire aux prises du Péripatétisme les propositions essentielles de l’Augustinisme.

L’étude patiente et prolongée des doctrines gréco-arabes convertit peu à peu l’auteur de la Physique, et l’on vit apparaître alors un second Albert, l’Albert de la Métaphysique et du Livre des Causes. Pour celui-ci, les propositions augustiniennes que le premier Albert avait, en sa Physique, soigneusement sauvegardées devenaient autant d’affirmations absurdes en Philosophie ; les raisons que le premier Albert avait invoquées en faveur de ces propositions, et qu’il trouvait « très solides et très fortes, » le second Albert les déclarait arguments théologiques qu’il est interdit d’invoquer dans une discussion de Philosophie. Pour ce néophyte, la Philosophie consistait tout entière en l’exposé des opinions péripatéticiennes ; ces opinions, il déclarait bien haut qu’il n’en affirmait pas la vérité, mais il les présentait de telle sorte que sa déclaration s’en trouvât démentie.

Vraiment, le Péripatétisme avait conquis la raison d’Albert, comme il allait, avec l’aide d’Albert, conquérir une bonne partie de la Scolastique latine.


IV
LA PHILOSOPHIE D’ALBERT LE GRAND (suite). — LES PROCESSIONS CÉLESTES

C’est au second Albert, c’est à celui qu’a pleinement ravi la Philosophie des Grecs et des Arabes, que nous allons maintenant nous