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ALBERT LE GRAND

partant, il faut que la matière première ait été faite par la Cause première. »

Albert ajoute, il est vrai : « Ce n’est point là une discussion de Physique ; mais nous l’avons introduite afin de rejeter l’erreur de ceux qui prétendent que le Monde a existé de toute éternité et qu’il n’a pas été créé. » Plus loin[1], même, il révoque en doute la valeur de ce raisonnement ; la Cause première, en effet, ne peut faire ce qui serait absurde ; elle ne peut faire coexister deux contradictoires ; si donc la création de la matière première à partir de rien était une impossibilité logique, le premier Principe ne réaliserait pas cette création.

Le docte Frère Prêcheur va douc chercher, en faveur de la création du Monde, quelque preuve plus solide, et c’est Maïmonide qui va lui en fournir le modèle ; le Guide des Égarés, d’ailleurs, était ici l’écho de la Destruction des philosophies composée par Al Gazâli.

Albert part de ce principe[2] : « Si une chose composée est déterminée et achevée par une forme, il faut que ce qui détermine et achève cette chose à l’aide de la forme ait son existence hors de cette chose. » Or, nous voyons que tous les cieux, toutes les étoiles, tous les corps sont composés de matière et de forme ; toutes ces choses sont achevées et déterminées par une forme. « Il est donc nécessaire que ce qui les détermine au moins en leur nature existe avant elles et hors d’elles. »

« Dira-t-on que la diversité de la matière est la cause de la diversité de la forme » qui détermine la nature de chacune de ces choses ? Il en résulterait plusieurs conséquences inadmissibles. En voici une : « Si la diversité de la matière était la cause de la diversité de la forme, il faudrait qu’il existât quelque autre cause de la diversité de la matière ; il faudrait que cette cause fut antérieure à la matière même des cieux, car ce qui produit en quelque chose une diversité de nature doit être antérieur à ce en quoi cette diversité se trouve produite.

» Cette cause, à son tour, ou bien elle serait une seule chose, ou bien elle serait affectée de diversité.

» Si elle était une seule chose, se comportant toujours de même manière, elle ne pourrait, hors d’elle, produire la diversité ; en effet, une proposition évidente d’elle-même, qu’Aristote et tous les Péripatéticiens s’accordent à affirmer, dit ceci : D’une cause unique et simple ne peut résulter qu’un effet unique et simple.

  1. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. XIII.
  2. Albert le Grand, loc. cit.