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ALBERT LE GRAND

n’est point véritable. Les choses dont la nature est achevée sont engendrées ou détruites au sein de la matière ; avant d’être produites, elles sont dans la matière et elles y sont en puissance. Mais il n’en est pas de même des principes de la nature, de la première forme, de la matière, du premier mobile, du mouvement par lequel ce premier mobile impose les mouvements et les changements physiques à la matière des choses qui s’engendrent et périssent ; ces principes-là, il n’est pas nécessaire qu’ils aient commencé de la sorte ; mais, bien plutôt, leur commencement a consisté à être faits de rien…

» C’est de rien que la Cause première a fait la matière ; c’est de rien qu’elle a fait la première forme ; au moment même qu’elle a créé cette forme, elle l’a imprimée en la matière ; elle a fait de même le premier mobile et tout l’orbe céleste ; ce qu’elle a créé de rien, elle l’a produit avec toute la variété qui résidait en elle-même.

» De tout cela, nous avons donné précédemment une preuve probable ; et cela suffit bien en ce sujet où l’on n’apporte contre nous rien qui soit démontré. »

À défaut de preuves, on invoquera l’autorité d’Aristote. « On dira peut-être que nous n’avons pas compris Aristote et que nous sommes en désaccord avec ce qu’il a dit… À cela, nous répondrons : Celui qui croit qu’Aristote était un dieu, celui-là doit croire aussi qu’Aristoie ne s’est jamais trompé. Mais si nous croyons seulement qu’il était un homme, alors, sans aucun doute, il a pu se tromper tout comme nous. »

« Celui qui comprend bien Aristote » voit sans peine que ce philosophe n’a jamais prouvé l’éternité du Monde ni l’éternité du mouvement, mais qu’il les a simplement supposées. « S’il eût voulu prouver ces deux suppositions, il n’eût pas pu le faire ; il n’eût découvert aucune voie qui le conduisît à ce but. » Si l’on peut, en effet, raisonner sur la génération des choses qui ont une nature achevée, il est illusoire de vouloir raisonner sur l’apparition des principes mêmes de la nature. À l’appui de cette affirmation. Albert reproduit une comparaison dont Moïse Maïmonide avait usé dans le même but.

Les arguments des Péripatéticiens ne prouvent rien contre la création du Monde ; en peut-on construire qui concluent en faveur de cette création ?

Il en est, d’abord, qu’Albert, à l’imitation de Maïmonide, regarde comme sophistiques[1]. Le type en est celui-ci : Si le Monde exis-

  1. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. XII.