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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

nous admettrons que le temps a commencé avec le ciel et avec le mouvement du ciel ; que le mouvement de la matière des choses actives et passives, de celles qui peuvent s engendrer et périr, a été produit par le mouvement du ciel. Cette opinion est affirmée d’un commun accord par beaucoup de Péripatéticiens et par un grand nombre de théologiens plus subtils que les autres, car elle est soutenable aussi bien par la Loi religieuse que par les enseignements de la Physique. »

Cette conclusion que la foi enseigne, Albert va donc construire un raisonnement de Physique qui la rende au moins vraisemblable : « Nous donnerons, dit-il[1], des raisons de Physique par lesquelles on verra que le Monde a été créé, » — « Nous montrerons[2] par des raisons vraisemblables que le Monde a été créé et qu’il n’a pas existé de toute éternité. »

Ce raisonnement, comment va-t-il s’y prendre pour le composer ? Il suivra pas à pas la voie tracée par Maïmonide.

Il exposera, d’abord, les arguments par lesquels les Péripatéticiens, c’est-à-dire Aristote, Avicenne, Al Gazâli, ont démontré que le mouvement, que le temps n’avaient pas pu commencer ; mais il y joindra cette remarque[3] : « Ces raisons prouvent seulement que le Monde n’a pas commencé par génération, et qu’il a existé aucun temps pendant lequel il n’y aurait point eu de mouvement ; cela est certainement rai et mms l’avons précédemment accordé.

Contre la création du Monde, les Péripatéticiens ont une autre objection[4] : « En tout ce qui se fait, la possibilité précède l’existence. » Ils en concluent que la Matière première n’a pu être engendrée.

Que la Matière première n’ait pu être engendrée, Albert y consent, mais non pas qu’elle n’ait pu être créée. « Ils affirment qu’en toute chose qui se fait, la possibilité précède l’être ; nous disons, nous, que c’est vrai seulement des choses qui se font par mouvement ou par changement physique ; mais pour les choses qui sont faites par une cause créatrice, l’être est produit en même temps que la possibilité, car la matière est produite en même temps que la forme…

» Ce qui a trompé les Péripatéticiens, c’est qu’ils ont voulu assimiler le commencement des principes de la nature au commencement des choses dont la nature est achevée, et cette assimilation

  1. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. I.
  2. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. IV.
  3. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. IV.
  4. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. XIV.