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ALBERT LE GRAND

de Moïse Maïmonide[1], mais jusqu’aux exemples dont le Philosophe juif avait usé pour rendre ses raisons plus accessibles.

En cette étude, comme en toutes celles qui composent son encyclopédie de Physique, Albert se pique, assurément, de suivre une méthode strictement philosophique. « Lorsque nous démontrerons que le mouvement n’a commencé en aucun temps passé et qu’il ne cessera en aucun temps futur, dit-il[2], nous procéderons exclusivement, qu’on ne l’oublie pas, par raisons de Physique ; ces raisons supposent que tout ce qui commence, commence par génération, et que tout ce qui finit, finuit par corruption. En Physique, en effet, nous ne pouvons prouver que ce qui est soumis à des principes physiques. Si nous nous haussions jusqu’à parler de choses qui sont au-dessus de la Physique, nous ne pourrions plus être tenus pour physiciens, car nous n’avancerions plus, à partir de propositions connues par elles-mêmes ou déjà prouvées ; nous passerions plutôt, par un acte transcendant, à des choses que la raison ne peut comprendre, comme la création et l’opération par laquelle toutes choses ont pu être créées en même temps, et créées distinctes les unes des autres. Le physicien doit démontrer ce qu’il avance par les méthodes qui sont propres à la Science qu’il a l’intention de considérer, ou bien il doit se taire. »

« Nous considérerons donc, tout d’abord[3], d’une manière générale, ce qu’ont dit les philosophes qui nous ont précédé. » Nous rapporterons ce qu’ont dit « tous ces philosophes qui ont parlé de la nature en physiciens, qui de natura naturaliter aliquid dixerunt. » Les opinions diverses, nous les passerons au crible d’une sévère critique, « car nous avons horreur[4] des raisonnements tenus par certaines gens qui se vantent d’avoir prouvé ce qu’ils n’ont prouvé d’aucune manière. »

Toutefois, en suivant la méthode propre à la Physique, Albert ne demeurera pas dans l’ignorance de ce qu’enseigne la Théologie ; avant d’admettre une conclusion de Philosophie, il se souciera de savoir si elle s’accorde avec les vérités révélées. « Nous admettons, dit-il[5], que toutes choses ont été créées simultanément ;

  1. M. Joël s’est attaché à prouver l’influence que Moïse Maïmonide a exercée sur Albert le Grand en confrontant nombre de passages empruntés aux œuvres de celui-ci avec les textes correspondants de la traduction latine du Guide des égarés. M. Joël. Verhältniss Albert des Grossen su Moses Maimonides. Ein Beitrag sur Geschichte der mittelalterlichen Philosophie. Breslau, 1863 ; 2te Aufl., Breslau, 1876 (M. Joël, Beiträge sur Geschichte der Philosophie, Bd. I ; Breslau, 1876)].
  2. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. I.
  3. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. II.
  4. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. XIII.
  5. Alberti Magni Op. laud., lib. VIII, tract. I, cap. VI.