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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

théologiens leur ont données pour vérités dogmatiques ? Penseront-ils qu’il existe doux vérités, l’une de Philosophie, tirée par syllogisme de principes rationnels, l’autre de Théologie, déduite de principes révélés, et que ces deux vérités se peuvent contredire une l’autre ? Jugeront-ils, au contraire, que la vérité est nécessairement une, et que si la Philosophie est parvenue à l’établir par raisons démonstratives, la Théologie doit se modifier, se transformer jusqu’à ce qu’elle se puisse adapter aux enseignements de la Physique et de la Métaphysique ?

Aux Frères qui ne pouvaient manquer de lui poser semblables questions, Albert ne donne aucune réponse. Mais il prêche d’exemple. À plusieurs reprises, nous l’avons entendu gourmander les théologiens dont les doctrines ne s’accordaient pas avec la théorie néo-platonicienne de la procession des êtres ; il pense assurément que la Théologie a fait fausse route toutes les fois qu’elle a rencontré des conclusions contraires à celles de la Philosophie ; elle doit alors, à son gré, rebrousser chemin et chercher une nouvelle voie qui l’amène à se rencontrer avec le Péripatétisme.


III
LA PHILOSOPHIE D’ALBERT LE GRAND, — LA CRÉATION DU MONDE

Albert n’était pas arrivé de prime abord à concevoir de la sorte les rapports de la Philosophie et de la Théologie ; avant qu’il prît possession de la Théologie au nom du Péripatétisme, il avait fallu que le Péripatétisme s’emparât de lui ; quand il composait sa Physique, il n’était point encore entièrement assujetti à la Philosophie d’Aristote et de ses successeurs ; nous en avons l’assurance par ce que le huitième livre de cet ouvrage dit de l’éternité du Monde.

Nous ne trouvons pas, en cette partie de la Physique, l’indication précise des auteurs dont Albert s’est inspiré. « Dans la Philosophie première, nous dit-il[1], nous traiterons de nouveau, en grand détail, de toutes ces questions ; nous indiquerons alors les noms des auteurs qui ont écrit toutes ces choses ; si nous avons omis ici de les donner, c’est afin que l’exposé de la doctrine en fût plus aisé. » Il nous est facile de suppléer à ce silence et de nommer celui dont la pensée a dirigé toute la discussion du Frère Prêcheur ; nous reconnaissons sans peine, en effet, dans cette discussion, non seulement l’idée essentielle et les arguments principaux

  1. Alberti Magni Physica, lib, VIII, tract. I, cap. XV.