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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

effet, est fondée sur la révélation et sur l’inspiration, non pas sur la raison. Nous ne pouvons donc, en Philosophie, discuter de questions idéologiques. »

Au Livre des causes, Albert reprend de nouveau[1] les théologiens sur le même sujet, qui lui tenait fort à cœur : « Du premier Principe qui est l’Être nécessaire, répète-t-il, ne petit provenir qu’un seul être. Jusqu’ici, tous les Péripatéticiens ont été d’accord sur ce point ; cependant, les Théologiens ont nié ce principe sans le comprendre (licet hoc quidem non intelligentes theologi negaverunt). Le même être, en effet, en se comportant de la même manière, ne peut naturellement produire qu’une seule et même chose… Nécessairement donc, il ne peut provenir du premier Principe, d’une manière immédiate, qu’une seule et même chose. Cela, d’ailleurs, n’est pas contraire aux théologiens, car Denys dit que les choses qui sont tirent leurs différences de leur distance à Dieu ; corrélativement à Dieu et pour Dieu, elles sont une seule et même chose, »

Au premier des deux passages que nous venons de citer, Albert a tracé, entre la Philosophie et la Théologie, une ligne de démarcation fort nette ; ces deux sciences n’ont pas de principes communs ; l’une tire ses principes de la raison, l’autre de la révélation ; il n’est donc pas permis de mêler les deux méthodes ; le philosophe se doit absolument garder de toute considération théologique.

Albert s’en garde avec soin. « Il nous faut voir, dit-il[2], par raisons et syllogismes, quelle opinion doit être consentie et tenue. Nous passerons donc entièrement sous silence ce que veut notre Religion, et nous n’admettrons rien qui ne puisse être démontré par syllogisme. » C’est au sujet des deux questions de l’immortalité de l’âme et de la multiplicité des âmes après la mort qu Albert formule ce principe.

À ces deux questions, la Philosophie d’Albert donne des réponses conformes aux enseignements de la Théologie ; en ce cas, la distinction entre la méthode philosophique et la méthode théologique qu’il a préconisée et pratiquée n’offre qu’avantage ; assuré par démonstration syllogistique de ce que la Religion lui ordonne de croire, le philosophe chrétien affermira l’une par l’autre sa conviction rationnelle et sa foi.

Mais il n’en est pas toujours ainsi. La Philosophie qu’Albert expose aboutit bien souvent à des conclusions fort différentes de celles que la Théologie avait enseignées jusqu’alors ; ainsi en est-il

  1. Alberti Magni Liber de causis, lib. I, tract. I, cap. X.
  2. Alberti Magni De unitate intellectus contra Averroem, cap. I.