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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

puissent disposer le premier Principe à agir de différentes manières, cela est complètement absurde… L’enseignement d’Avicébron est donc contradictoire de toutes façons (omnino incongruum). »

Un peu plus loin, Albert reprend[1] la réfutation de cet enseignement. « Au livre qu’il lui a plu de nommer Fons vitæ, Avicébron, seul entre tous, a prétendu que le premier Principe agissait volontairement. Il voulait, en effet, que la conception par laquelle ce premier Principe est créateur résidât en lui par l’intermédiaire du Verbe intérieurement disposé ; il nommait Verbe la raison d’être de l’œuvre du Créateur ; il disait, en effet, que quiconque produit une œuvre conçoit d’abord en soi-même, par l’intelligence, la raison d’être de cette œuvre. Il ajoutait que l’Essence du premier Principe était infinie et qu’elle s’étendait, d’une extension spirituelle et non corporelle, à travers toutes choses, en sorte, disait-il, qu’elle se trouvait présente en toutes choses, et qu’elle opérait en toutes choses suivant la forme du Verbe qu’elle porte en elle-même.

» À cette Essence, il attribuait une Volonté dont le choix déterminait s’il fallait accomplir telle œuvre ou telle autre…

» Très certainement, ce que dit Avicébron ne saurait convenir. D’ailleurs, je ne pense pas qu’Avicébron soit l’auteur de ce livre ; je pense que quelques sophistes l’auront fabriqué sous le nom de ce philosophe. »

C’est ce même livre que Guillaume d’Auvergne admirait si fort et dont 1 auteur lui semblait être un philosophe chrétien.

C’est sous le nom d’Avicébron qu’Albert le Grand vient de condamner ces diverses doctrines ; il ont pu tout aussi bien les condamner sous le nom de Scot Érigène, car le Philosophe chrétien les avait soutenues avant le Philosophe juif qui, sans doute, les tenait de lui. Allons plus loin ; ces doctrines qu’il réprouve, Albert eût pu les attribuer à Saint Augustin ; car, ainsi résumées et réduites aux pensées essentielles qui en forment comme le squelette, les théories d’Avicébron et de Scot Érigène ne renferment plus rien qu’on ne retrouve dans les écrits de l’Évêque d’Hippone.

Lors donc qu’Albert le Grand paraît simplement condamner le système d’Avicébron au nom de la Philosophie péripatéticienne, il s’empare, en réalité, de la théorie néo-platonicienne qui, du premier Principe, fait dériver toutes choses suivant un ordre nécessaire, et de telle sorte qu’une cause simple produise un effet unique ; cette théorie, il l’oppose à la tradition de la Scolastique latine, à

  1. Alberti Magni Op. laud., lib. I, tract. III, cap. IV.