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ALBERT LE GRAND

» La seconde forme est la corporéité, qui vient borner la capacité de la Matière première ; car la matière corporelle n’est déjà plus capable de toutes les formes.

» En troisième lieu, vient la contrariété, qui caractérise la forme et la matière des éléments ; cette dernière matière est de moindre compréhension que la matière corporelle.

» La quatrième forme est celle de la mixtion.

» C’est ainsi qu’Avicébron tire toutes choses du premier Principe. Mais d’où viennent l’Intelligence, la corporéité, la contrariété, la mixtion, il ne l’explique par aucune cause raisonnable ; il se contente de dérouler des sophismes et de donner des raisonnements de rhéteur (rationes topicæ). »

« En ce livre qui est intitulé Fons vitæ, avait déjà dit Albert le Grand[1], Avicébron présente sommairement une thèse étrange (mirabilis positio) touchant le principe de l’Être universel. » Après avoir exposé avec plus de développements ce que nous venons de lui entendre dire d’une manière plus concise, Albert poursuivait en ces termes[2] :

« Cette opinion déplaît aux Péripatéticiens, et cela pour cinq raisons principales. » De ces raisons, voici la cinquième : « Avicébron prétend que le premier Principe agit volontairement ; or c’est contraire à la Philosophie de tout le monde ; il est de la nature même du premier Principe qu’il agisse par lui-même et par son essence, sans que rien le détermine à l’action…

» Aux dires d’Avicébron, on peut, opposer de très fortes objections. D’un être simple ne peut résulter qu’un autre être simple ; c’est un principe qui a été affirmé par Aristote en sa lettre Sur le principe de l’être universel, et qui a été admis et expliqué par Al Fârâbi, par Avicenne et par Averroès. Selon l’hypothèse d’Avicébron, au contraire, [du premier Principe simple] sont tirées deux choses, dont aucune n’en émane par l’intermédiaire de l’autre, à savoir la Matière première et la Forme première ; ce n’est pas, en effet, la Matière première qui fait que la Forme soit forme, ni la Forme première qui fait que la Matière soit matière ; elles sont toutes deux également premières, chose qui passe l’entendement.

» En outre, il est bien prouvé que la volonté, prise en tant que volonté, ne peut pas être le principe de l’Être universel ; la volonté, en effet, en tant que volonté, est sollicitée par des motifs divers à prendre des déterminations différentes ; or que des motifs divers

  1. Alberti Magni Op. laud., lib. I, tract. I, cap. V.
  2. Alberti Magni Op. laud., lib. I, tract. I, cap. VI.