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ALBERT LE GRAND

Abubacher, enfin « Averroès, citoyen de Cordoue ». Ce sont les philosophes juifs, Isaac Israelita et, surtout, Moïse Maïmonide, qui est appelé Rabbi Moses ou Moses Ægyptius. Ce sont encore une foule d’autres, Arabes ou Juifs, dont les noms, étrangement déformés par Albert, sont souvent difficiles à reconnaître.

Bien que tous ces auteurs forment, pour Albert le Grand, l’École des Péripatéticiens, il ne peut méconnaître, cependant, que leurs opinions sont loin de s’accorder toutes entre elles. En présence de ces doctrines divergentes, que fera-t-il ? S’il était, simplement, le narrateur fidèle et muet sur ses opinions personnelles qu’il prétend être, il devrait, semble-t-il, présenter tout uniment ces doctrines les unes à la suite des autres et laisser au lecteur la liberté de choisir entre elles. Ainsi fait-il quelquefois, mais bien rarement. En général, il ne demeure pas, à l’égard des diverses théories qu’il appelle également péripatéticiennes, dans cet état de parfaite indifférence. Tantôt, et le plus souvent, parmi les théories proposées, il en choisit une, et il argumente pour elle contre toutes les autres. Tantôt, entre les divers systèmes présentés, il compose une sorte de compromis qu’il donne comme l’opinion même des Péripatéticiens. De ces deux manières d’agir, nous rencontrerons des exemples.

Soit qu’Albert choisisse entre plusieurs opinions rivales, soit qu’il tente d’en former une sorte de synthèse, il nous laisse deviner, en dépit de ses protestations, quelles tendances sollicitent le plus fortement son intelligence. Il est alors visible que le système d’Avicenne et d’Al Gazâli, plus que tout autre, attire ses préférences. Il semble même que ce système s’impose d’autant plus fortement au Docteur Dominicain que celui-ci progresse davantage en l’accomplissement de son œuvre. Il est difficile de lire le Liber de causis et processu universitatis a causa prima sans demeurer convaincu que l’auteur regarde la Philosophia Algazelis qui s’y trouve constamment citée, comme la plus parfaite exposition de la pensée péripatéticienne.

Exclusivement soucieux d’exposer la Philosophie de ceux qu’il nomme les Péripatéticiens, Albert marque une indifférence quelque peu méprisante à l’égard de la Philosophie platonicienne : « Selon la protestation que nous avons formulée dans ce qui précède, dit-il[1], nous ne poursuivrons pas l’exposé de ces suppositions [platoniciennes], car, en cette affaire, nous avons seulement entrepris d’aplanir la voie suivie par les Péripatéticiens. Quant

  1. Alberti Magni Metaphysica lib. XI, tract. III, cap. VII.