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ALBERT LE GRAND

donné. À ce silence sur ses propres travaux, une seule exception peut, croyons-nous être notée ; pour éviter de reprendre une fastidieuse discussion, Albert renvoie à sa Métaphysique ; c’est cette heureuse exception qui nous a permis de placer avec certitude le Liber de causis après la Métaphysique.

Le silence que le Liber de causis garde sur le De unitate intellectus contra Averroem et sur le De principiis motus processivi n’a donc pas du tout la même signification que le silence de ces deux derniers ouvrages touchant le Liber de causis. Dès lors, on peut admettre, croyons-nous, que de ces trois ouvrages, le Liber de causis est le plus récent ; composé après l’an 1256, il achèverait la vaste exposition de la Philosophie péripatéticienne qu’Albert avait entreprise à la prière de ses frères. C’est, d’ailleurs, ce que semble déclarer la phrase qui clôt cet écrit : « Ea quæ dicta sunt non afflictionibus nostris inducta, sed assiduis postulationibus sociorum ab Aristolele potius extorta quam impetrata. »


II
L’ESPRIT QUI ANIME L’ŒUVRE D’ALBERT LE GRAND


Albert le Grand, avons-nous dit, est un compilateur ; il ne réclame pour lui-même que le titre de compilateur fidèle ; à nous déclarer que c’est là sa seule ambition, il met une sorte d’opiniâtreté ; il n’admet pas que, pour juger son œuvre, on examine d’autre question que celle-ci : A-t-il, oui ou non, fidèlement exposé l’opinion des anciens Péripatéticiens ? Relevons quelques-unes des déclarations, faites en ce sens, qu’on rencontre en parcourant sa vaste encyclopédie.

Voici d’abord celle qui termine les Physiques : « Nous demandons à tous ceux qui verront cet ouvrage de ne pas examiner quelles sont leurs propres conceptions, mais ce qu’ont dit les anciens Péripatéticiens. Ils pourront alors, comme il leur plaira, lui adresser des reproches ou l’acquitter. »

Une déclaration semblable dût la Métaphysique : « Terminons ici cette discussion dans laquelle je n’ai rien dit selon ma propre opinion ; tout ce que j’ai dit est conforme à l’opinion des Péripatéticiens ; que celui qui voudra mettre à l’épreuve ce que je dis là lise attentivement leurs livres, et qu’il ne m’adresse pas à moi-même les louanges ou les reproches que méritent ces auteurs. »

Au cours du Liber de causis, Albert ne cesse de rappeler son